Depuis août dernier, la chance
m’avait été donnée d’habiter à Los Angeles. Avec cette chance, celle aussi de
profiter du beau temps permanent, de découvrir la Californie, de rencontrer les
Californiennes et les Californiens. Grâce à ce blog (le correcteur
d’orthographe Windows me propose « bloc » !), j’ai eu plusieurs
fois l’occasion de dire combien la West coast me semblait différente de
l’Europe, par ses mentalités plus ouvertes, ses habitants plus
chaleureux et plus serviables; par son caractère en apparence plus
décontracté et en tout cas plus agréable (entre douceur de l’océan et tiédeur
idoine du soleil) ; la west coast de LA était à la fois infiniment
moins braquée sur les traditions ancestrales ou sur l’arrière-plan
socioculturel des gens, et en même temps riche de cultures extrêmement variées
(même si on lui reproche parfois son communautarisme) comme peut l’être une
cité qui se trouve géographiquement et ethniquement au carrefour de l’Asie, de
l’Amérique centrale et de l’Occident des deux côtés de l’Atlantique.
L’une des découvertes que j’y
fis, qui ne fut pas des moindres, fut celle de l’importance vitale de la
voiture. Sans voiture, vous n’êtes pas à LA : vous êtes à Culver City, à
Santa Monica ou à Long Beach, mais vous restez prisonniers d’un hood,
des quelques blocks que vous pouvez parcourir à pied ou de la ligne de bus qui
passe entre deux et quatre fois par heure et qui est plus ou moins mal
fréquentée. Rien à voir avec l’Europe, continent où la voiture est désormais
honnie : regardez le montant des taxes sur l’essence, les projets de
« rendre Paris aux piétons », ou tout simplement le prix du permis de
conduire en France. Ici, à LA, voiture est synonyme de liberté,
d’indépendance : il y a des embouteillages aux heures de pointe, certes,
mais la circulation est bien organisée, épurée de tous les panneaux inutiles
qui alourdissent les bouquins du code de la route hexagonal, la police fait son
travail et est présente autrement que pour mettre des PV en se cachant avec un
radar derrière les ronds-points ; les gens ne bloquent pas les
intersections, n’essaient pas d’écraser les piétons, ne grillent pas trop
souvent les stops. La voiture est le prolongement indispensable du corps pour
s’approprier la distance, sans laquelle LA ne serait pas LA.
La contrepartie de cette
contrainte automobile, ou plutôt les avantages de cette indépendance motorisée,
est l’incitation beaucoup plus grande aux vacances, dussent-elles être courtes
de quelques jours, ou d’un week-end prolongé par les quelques jours fériés de
l’année. Pas de train à réserver, d’heures à perdre dans les transports en
commun, de billet à acheter en avance. Votre voiture est là qui vous attend,
sagement, dans le garage, et elle se décapote quand il y a du soleil,
c’est-à-dire tous les jours. Comme la distance n’est plus rien, une fois dans
un bolide, derrière un volant, sur un siège confortable et les cheveux dans le
vent (c’est délicieux d’évoluer dans un cliché), on part très facilement le
long de l’océan pour remonter jusqu’à San Francisco, descendre à San Diego,
s’enfoncer dans le désert de Las Vegas ou tout simplement randonner dans les
Santa Monica Mountains, un parc naturel à quelques minutes de LA. Sur ces freeways
tout droits, ces six voies qui vous préservent des embouteillages, cette
facilité de la conduite sans priorité à droite ni à ceux qui entrent sur le
périph’, m’ont fait découvrir le plaisir de l’évasion, qui est le nom d’une
voiture française et d’un sentiment américain.
Il existe sans doute de telles
possibilités d’escapades en Europe, avec des personnes adorables et des
rencontres « enrichissantes » (comme on dit), mais il me
semble qu’elles se font plus par le train (le forfait Interrail pour
expérimenter tous les tacots d’Europe), et que les paysages sont moins vastes,
que la possibilité de s’y perdre, d’oublier l’existence de l’homme et la
présence du reste du monde est beaucoup moins importante. Voilà pourquoi une
fois le permis en poche, la route 66, avec ses parcs nationaux, ses déserts,
ses plaines, ses villages oubliés dans le temps, et son caractère mythique,
voilà pourquoi la 66 pouvait me faire rêver, ou du moins me suggérer l’idée
d’aller la découvrir. Cette route 66, enfin (et c’est la raison pour laquelle
ce projet a fini par se concrétiser), allait nous permettre (nous étions trois,
dont un conducteur) de découvrir d’autres États que la chère Californie (je
soupçonnais dans un coin de mon esprit que tout n’était pas partout comme à
Hollywood), contempler d’autres architectures, être témoin d’autres vies et
d’autres activités, si possible de rencontrer de nouvelles personnes, peut-être
moins fines, belles et souriantes que les Californiens, mais du moins différentes.
Bref, je connaissais, à ma mesure, la Californie, et j’allais découvrir les États-Unis, en tout cas une grande partie du territoire, un large échantillon de ces ethnies d’immigrés (car tous le furent, à un moment ou un autre, y compris les Indiens). Sans compter évidemment le côté 50’s, ronronnant de motards et grinçant de métal rouillé, crépitant d’enseignes lumineuses de vieux motels, de drive-in et de diners, et bien entendu grésillant de rock n’ roll classique alors en plein épanouissement.
Bref, je connaissais, à ma mesure, la Californie, et j’allais découvrir les États-Unis, en tout cas une grande partie du territoire, un large échantillon de ces ethnies d’immigrés (car tous le furent, à un moment ou un autre, y compris les Indiens). Sans compter évidemment le côté 50’s, ronronnant de motards et grinçant de métal rouillé, crépitant d’enseignes lumineuses de vieux motels, de drive-in et de diners, et bien entendu grésillant de rock n’ roll classique alors en plein épanouissement.
Cependant, pour nous laisser
étonner du début à la fin, et pour que tout fût plus féerique, mieux
valait nous laisser déposer les yeux bandés par un avion à notre point de
départ, Chicago, afin que la route qui nous emmènerait jusqu’en Californie fût
vraiment la première que nous fissions, que chaque État nous fût nouveau et
surtout que ce voyage de l’Est vers l’Ouest nous apparût, comme aux migrants de
l’Est pleins d’espoirs du Dust Bowl qui la suivirent pour fuir la misère
dans les années 1930, un pèlerinage, une migration, une quête commune vers
l’Eldorado de Santa Monica et de sa Californie où le soleil ne se cache jamais
mais où l’air est doux comme l’océan Pacifique, où tout est possible et
impossible à la fois comme ce rêve qui est omniprésent et se fabrique à
Hollywood ; la région de Beverly Hills, de Malibu, du surf, du skate et de
la vie dans toute sa modalité laid back, région qui est comme une terre
promise de l’homme occidental, souriante, paisible, où il fait bon vivre qui
qu’on soit, quoi qu’on croie ou ne croie pas, et parfois presque quoi qu’on
fasse, du moment qu’on y travaille.
Donc, encore un avion, encore les
contrôles aériens (ne mettez pas de Converse montantes dans ce genre de
situation), les attentes interminables dans les terminaux et finalement les
pensées tantôt émerveillées, tantôt rêveuses du passager qui s’abandonne
au-dessus des nuages et entre ses intermittents sommes, à son esprit vagabond,
volatile, voyageur, plein de rêves et d’espoirs, de projets sur son futur road
trip, d’attentes, de représentations, de désirs, et qui en même temps se
satisfait du moment présent de la contemplation des spectacles immenssissimes
du ciel, qui est décor et représentation théâtrale à la fois, ou même plus que
cela, ce ciel dans lequel il se trouve enfin. Depuis le temps que l’humanité
rêvait de pouvoir voler ! …
Ainsi, et comme le montrent les
photos que je m’apprête à publier, ce voyage commençait par un peu de triche,
c’est-à-dire par des ailes au lieu de roues, par un bond dans le ciel au lieu
de roulements sur le sol, par une place de passager au lieu de celle de
conducteur ou de copilote. Néanmoins, malgré tout le caractère défavorable que
peut revêtir le mot de triche (du reste, ce n’en fut pas une bien
vilaine), cette première expérience ne fut pas un des moments les moins étourdissants
du voyage, du périple, de l’aventure. C’en fut plutôt comme le prélude
splendide et merveilleux, l’introduction fantastique, l’initiation incroyable,
la mise en bouche ineffable et l’étonnement préliminaire.
A suivre...
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