Sunday, October 27, 2013

66 dreaming... (66 - 1)




Depuis août dernier, la chance m’avait été donnée d’habiter à Los Angeles. Avec cette chance, celle aussi de profiter du beau temps permanent, de découvrir la Californie, de rencontrer les Californiennes et les Californiens. Grâce à ce blog (le correcteur d’orthographe Windows me propose « bloc » !), j’ai eu plusieurs fois l’occasion de dire combien la West coast me semblait différente de l’Europe, par ses mentalités plus ouvertes, ses habitants plus chaleureux et plus serviables; par son caractère en apparence plus décontracté et en tout cas plus agréable (entre douceur de l’océan et tiédeur idoine du soleil) ; la west coast de LA était à la fois infiniment moins braquée sur les traditions ancestrales ou sur l’arrière-plan socioculturel des gens, et en même temps riche de cultures extrêmement variées (même si on lui reproche parfois son communautarisme) comme peut l’être une cité qui se trouve géographiquement et ethniquement au carrefour de l’Asie, de l’Amérique centrale et de l’Occident des deux côtés de l’Atlantique. 

L’une des découvertes que j’y fis, qui ne fut pas des moindres, fut celle de l’importance vitale de la voiture. Sans voiture, vous n’êtes pas à LA : vous êtes à Culver City, à Santa Monica ou à Long Beach, mais vous restez prisonniers d’un hood, des quelques blocks que vous pouvez parcourir à pied ou de la ligne de bus qui passe entre deux et quatre fois par heure et qui est plus ou moins mal fréquentée. Rien à voir avec l’Europe, continent où la voiture est désormais honnie : regardez le montant des taxes sur l’essence, les projets de « rendre Paris aux piétons », ou tout simplement le prix du permis de conduire en France. Ici, à LA, voiture est synonyme de liberté, d’indépendance : il y a des embouteillages aux heures de pointe, certes, mais la circulation est bien organisée, épurée de tous les panneaux inutiles qui alourdissent les bouquins du code de la route hexagonal, la police fait son travail et est présente autrement que pour mettre des PV en se cachant avec un radar derrière les ronds-points ; les gens ne bloquent pas les intersections, n’essaient pas d’écraser les piétons, ne grillent pas trop souvent les stops. La voiture est le prolongement indispensable du corps pour s’approprier la distance, sans laquelle LA ne serait pas LA.

La contrepartie de cette contrainte automobile, ou plutôt les avantages de cette indépendance motorisée, est l’incitation beaucoup plus grande aux vacances, dussent-elles être courtes de quelques jours, ou d’un week-end prolongé par les quelques jours fériés de l’année. Pas de train à réserver, d’heures à perdre dans les transports en commun, de billet à acheter en avance. Votre voiture est là qui vous attend, sagement, dans le garage, et elle se décapote quand il y a du soleil, c’est-à-dire tous les jours. Comme la distance n’est plus rien, une fois dans un bolide, derrière un volant, sur un siège confortable et les cheveux dans le vent (c’est délicieux d’évoluer dans un cliché), on part très facilement le long de l’océan pour remonter jusqu’à San Francisco, descendre à San Diego, s’enfoncer dans le désert de Las Vegas ou tout simplement randonner dans les Santa Monica Mountains, un parc naturel à quelques minutes de LA. Sur ces freeways tout droits, ces six voies qui vous préservent des embouteillages, cette facilité de la conduite sans priorité à droite ni à ceux qui entrent sur le périph’, m’ont fait découvrir le plaisir de l’évasion, qui est le nom d’une voiture française et d’un sentiment américain.

Il existe sans doute de telles possibilités d’escapades en Europe, avec des personnes adorables et des rencontres « enrichissantes » (comme on dit), mais il me semble qu’elles se font plus par le train (le forfait Interrail pour expérimenter tous les tacots d’Europe), et que les paysages sont moins vastes, que la possibilité de s’y perdre, d’oublier l’existence de l’homme et la présence du reste du monde est beaucoup moins importante. Voilà pourquoi une fois le permis en poche, la route 66, avec ses parcs nationaux, ses déserts, ses plaines, ses villages oubliés dans le temps, et son caractère mythique, voilà pourquoi la 66 pouvait me faire rêver, ou du moins me suggérer l’idée d’aller la découvrir. Cette route 66, enfin (et c’est la raison pour laquelle ce projet a fini par se concrétiser), allait nous permettre (nous étions trois, dont un conducteur) de découvrir d’autres États que la chère Californie (je soupçonnais dans un coin de mon esprit que tout n’était pas partout comme à Hollywood), contempler d’autres architectures, être témoin d’autres vies et d’autres activités, si possible de rencontrer de nouvelles personnes, peut-être moins fines, belles et souriantes que les Californiens, mais du moins différentes.

           Bref, je connaissais, à ma mesure, la Californie, et j’allais découvrir les États-Unis, en tout cas une grande partie du territoire, un large échantillon de ces ethnies d’immigrés (car tous le furent, à un moment ou un autre, y compris les Indiens). Sans compter évidemment le côté 50’s, ronronnant de motards et grinçant de métal rouillé, crépitant d’enseignes lumineuses de vieux motels, de drive-in et de diners, et bien entendu grésillant de rock n’ roll classique alors en plein épanouissement.

           Cependant, pour nous laisser étonner du début à la fin, et pour que tout fût plus féerique, mieux valait nous laisser déposer les yeux bandés par un avion à notre point de départ, Chicago, afin que la route qui nous emmènerait jusqu’en Californie fût vraiment la première que nous fissions, que chaque État nous fût nouveau et surtout que ce voyage de l’Est vers l’Ouest nous apparût, comme aux migrants de l’Est pleins d’espoirs du Dust Bowl qui la suivirent pour fuir la misère dans les années 1930, un pèlerinage, une migration, une quête commune vers l’Eldorado de Santa Monica et de sa Californie où le soleil ne se cache jamais mais où l’air est doux comme l’océan Pacifique, où tout est possible et impossible à la fois comme ce rêve qui est omniprésent et se fabrique à Hollywood ; la région de Beverly Hills, de Malibu, du surf, du skate et de la vie dans toute sa modalité laid back, région qui est comme une terre promise de l’homme occidental, souriante, paisible, où il fait bon vivre qui qu’on soit, quoi qu’on croie ou ne croie pas, et parfois presque quoi qu’on fasse, du moment qu’on y travaille.

Donc, encore un avion, encore les contrôles aériens (ne mettez pas de Converse montantes dans ce genre de situation), les attentes interminables dans les terminaux et finalement les pensées tantôt émerveillées, tantôt rêveuses du passager qui s’abandonne au-dessus des nuages et entre ses intermittents sommes, à son esprit vagabond, volatile, voyageur, plein de rêves et d’espoirs, de projets sur son futur road trip, d’attentes, de représentations, de désirs, et qui en même temps se satisfait du moment présent de la contemplation des spectacles immenssissimes du ciel, qui est décor et représentation théâtrale à la fois, ou même plus que cela, ce ciel dans lequel il se trouve enfin. Depuis le temps que l’humanité rêvait de pouvoir voler ! …

Ainsi, et comme le montrent les photos que je m’apprête à publier, ce voyage commençait par un peu de triche, c’est-à-dire par des ailes au lieu de roues, par un bond dans le ciel au lieu de roulements sur le sol, par une place de passager au lieu de celle de conducteur ou de copilote. Néanmoins, malgré tout le caractère défavorable que peut revêtir le mot de triche (du reste, ce n’en fut pas une bien vilaine), cette première expérience ne fut pas un des moments les moins étourdissants du voyage, du périple, de l’aventure. C’en fut plutôt comme le prélude splendide et merveilleux, l’introduction fantastique, l’initiation incroyable, la mise en bouche ineffable et l’étonnement préliminaire.




A suivre...


No comments:

Post a Comment

Popular Posts