Thursday, December 26, 2013

Chez les Simpsons (66-10)


D’ailleurs, on arrive vite (enfin, vite…) dans le Central Illinois, que les gens se plaisent à appeler de manière peu originale le Cœur de l’État, existant sur son tapis de prairie toujours pas interrompu, et abritant le séduisant Atlanta (non, pas la ville de Géorgie). Ce village, entre les champs de maïs, à l’ombre des silos, traversé par un petit chemin de fer où le train passe remplir un ou deux wagons à marchandises, a son centre-ville de deux blocks de largeur, deux blocks de longueur.

Puisque la 66 le traverse, les boutiques s’en sont fait un thème pour décorer les vitrines, les commerces y trouvent un nom pour attirer le client qui depuis longtemps n’est plus issu du tourisme, et de l’inspiration pour quelques fresques murales. Comme les Américains ne suivent plus la route 66 de bout en bout, puisque les habitants des villages y sont comme indifférents et seraient souvent les derniers à l’avoir explorée, cette thématique, ces enseignes sont bel et bien celles d’un tourisme sans touristes.

Quelques panneaux 66 peints sont accrochés dans un petit square historique. Les bâtiments de ce centre, qui nous rappellent par leurs formes, par leurs auvents de bois ceux des westerns, évoquent aussi les maisons de brique en Beauce construites à la fin du XIXe siècle et toujours présentes, au milieu de moins d’habitants et de toujours autant de verdure ou de champs. On y déjeune dans un bar (le seul du village, qui de l’extérieur semble abandonné) avec la nourriture de base américaine, un blanc de poulet coincé entre les pains d’un hamburger dans un nid de French fries biscornues, qui n’ont rien de français, et une marelle de ketchup, il existe ici aussi. Résistera-t-on, ensuite, à la curiosité de se promener là où les gens habitent, entre les grandes maisons de bois peintes, blanches, bleues, avec leurs terrasses et leurs rockin’ chairs – pas leurs chaises à bascule, leurs rockin’ chairs ! Tout est calme, les habitants qui passent vous disent bonjour même sans vous connaître (on est bien loin de Chicago), on est au centre géométrique de l’Illinois, dans un village de 3 km2, moins de 1700 habitants dont 1,638 blancs, cinq blacks, six asiatiques, deux indiens et quinze métisses ! 

Puis, ce sont des champs, d’autres villages, où le bois grince quand on traverse le centre-ville, où l’on a parfois oublié de séparer le trottoir de la route entre les maisons, comme si tout était piéton. Ce sont de petites granges rouges qu’on aperçoit. C’est une station-service où l’on vérifie la pression du pneu que nous venons de changer à Normal pour préserver notre roue de secours, et où une jeune fille ridicule souhaite nettoyer notre voiture en maillot de bain (bizarre, quand même). Et puis c’est Springfield.

Springfield ! La ville des Simpsons ! En fait, vous le devinez, Sprinfield est le nom d’à peu près toutes les villes lambda des États-Unis, ce qui explique pourquoi Matt Groening le choisit pour nommer celle où habitent ses personnages, Américains moyens s’il en est, les Homer, les Marge, les Bart et même les Lisa. En attendant, Springfield est la capitale de l’État, et son Capitole, jugez un peu l’audace, est plus haut que celui de Washington. Vous pourrez peut-être y admirer la maison de Lincoln, la tombe de Lincoln, la bibliothèque de Lincoln, et enfin la statue de Lincoln, qui vous regardera de ses trente pieds de haut, alors que vous n’en faites probablement pas plus de six, ou sept si vous êtes basketteur.

Plus discret mais peut-être plus charmant, on trouve en suivant l’itinéraire au milieu des vallons une petite route pavée en briques, joli segment de la 66, plus joli par exemple que les plaques de béton que nous allions traverser dans l’Oklahoma, et poussant déjà l’Illinois vers la bucolique midwesternienne du Missouri. 

Fuyant les trop grandes villes (mais Springfield n’était pas trop grande, cependant), on va se reposer dans l’herbe de la place publique du village de Virden, place carrée que bordent de jolies maisons, de jolies boutiques aux architectures rappelant toujours les westerns, dans leurs façades marron pâle ou bleu pâle, leurs semblants de frises, leur raideur naïve, la rondeur régulièrement répétée des petits ponts de leurs chambranles. Un petit kiosque à musique de bois blanc, un monument commémoratif pour les morts du pays, des fresques rappelant ce que fut la route 66 sur certains murs latéraux, le calme d’une après-midi de campagne, la douceur d’un repos avant la reprise du volant par les mains et le cerveau. 

Un vieux totem, sous forme d’une station-service, salue le voyageur à la sortie du bourg de Virden.  Il est fait de souvenirs, d’épaves échoués aux rivages du temps : quelques voitures du temps où il n’y en avait pas beaucoup, évidemment rouillées ; des animaux peints aux couleurs du drapeau américain, rappelant le caractère à la fois sauvage et patriote de l’Amérique profonde ; des Betty Boop peintes sur les murs et de vieux panneaux 66 restaurés ; des publicités des années 60, des pompes à essence des années 40, avec encore les prix d’avant les chocs pétroliers et les inflations généralisées ; les Texaco, les Shell, les Phillipps 66 décolorés ; des roues de carrioles et les silhouettes de cow-girls sous les reproductions de voitures anciennes ; un mélange d’Amérique historique et de séduction touristique, un peu amusant, un peu too much, artificiellement reconstitué, mais qu’à cela ne tienne. 

Nous voilà arrivés au Sud de l’Illinois, qui fut appelé en son temps Little Egypt, et qui abrita la première capitale de l’État, Kaskaskia (qu’est-ce qui y’a, vous trouvez que c’est un nom bizarre ?). Plusieurs hivers terribles se succédèrent dans les années 1830 de l’État, dont celui de 1830-31, « winter of the deep snow, » qui noya de nombreux voyageurs dans des tempêtes de neige, ou ceux qui, comme le « winter of the sudden freeze, » massacrèrent littéralement les possibilités de s’alimenter des fruits de la terre, et requirent qu’on fît acheminer d’énormes quantités de nourriture depuis le Sud de l’État, un peu comme Joseph, qui, dans la Bible, fit envoyer d’Égypte de grandes portions de grains pour ses frères. Alors, ne vous étonnez pas si une ville du Sud s’appelle Cairo ! (En toute rigueur, elle se situe sur le territoire du Missouri.) Ce sont toujours, dans les paysages et les patelins traversés, de vieux reflets de poésie américaine tels que ceux qu’on entend dans les chansons de Johnny Cash (réécoutez le vrai Johnny, maintenant), des paysages de western attardé.

Sait-on ici si Internet existe ? Qu’un président noir a été élu ? Que des pays du monde (mais qu’est-ce que c’est, le reste du monde ?) ne sont pas des États des États-Unis ? et qu’on n’y pratique pas seulement l’agriculture ?  Mets un peu de charbon dans la locomotive, car le Nord a besoin du blé.

Pontiac, Lexington, Normal, Atlanta, Lincoln, Springfield, Virden, au milieu de nombreux villages ayant à peine un nom et ne figurant plus sur les cartes, le vert bouteille aux formes diverses dont on ne se lasse pas…

Puis Saint-Louis, les portes du Missouri. Une banlieue que l’on affronte, où l’on se plonge, dans la nuit qui a fini par tomber, pour trouver un motel. Incroyable d’avoir trouvé de nouveau une agglomération. On pensait, alors, que ça n’existait plus. Les rues bordées des enseignes lumineuses des fast-foods et des stations-service nous saluent, désertes de piétons. Un motel pour la nuit, pour le soir, les jeux de cartes après avoir pensé à la journée, la douche nécessaire à cause de la chaleur de l’atmosphère, et la télévision, juste pour les infos.




J’ose encore penser à la Californie (j’y penserai encore un peu avant d’en rêver), lointaine dans le temps, maintenant, et qui a si peu à voir avec ce que nous avons parcouru. C’est une autre Amérique. On oublie souvent que les États-Unis sont quasiment un continent, et que Philadelphie ressemble aussi peu à Santa Barbara que la Côte d’Azur ressemble à la Norvège. Ici, la pluie existe. Pas de désert. Des plaines. Les habitants sont plus méchants à Chicago, plus rustiques dans l’Illinois. La route est vieille, les villages petits. Tout est vide, il n’y a rien, et l’on va pourtant de découverte en découverte. 




Sunday, December 22, 2013

Illinois (2) : Atlanta I


Aujourd'hui, Atlanta. Atlanta dans l'Illinois (rien à voir avec le hub de Géorgie) - 1700 habitants environ, mais sans doute une plus grande densité de bonheur que dans les grandes métropoles. 



Le style des rues vous plonge un peu dans un western. 



Notre Denise fait sa sieste sous des bâtiments colorés. 



L'un des fameux géants de l'Illinois vous propose son hot-dog. 



La voiture de Lucky Luke. 



Ah, ces murs à la peau pelée.



God bless the Uncle Sam. L'Amérique profonde, c'est profondément l'Amérique. 



Auvents sous lesquels on peut déambuler plein de rêves de westerns. 



Aucune hystérie dans ces villages très calmes. 



Quel charme, quel charme, de ces villages calmes au fond des Etats verts et paysans, mais encore connectés aux routes, et par où le béton a tout de même fait son chemin ; aussi vrai que cela fait longtemps que l'Amérique est moderne. 



Semblant d'allure de ville fantôme par endroits : personne dans les rues, fenêtres parfois fermées, façades de bois et ombre des auvents. 



Rues très enneigées l'hiver. Les saisons sont plus marquées de ce côté de l'Atlantique que du nôtre (côte Pacifique exceptée, puisqu'il fait toujours beau à LA). 



Si vous pensez que ce camion ne sait pas porter le blé, le maïs, le fourrage, le bois, les foins, les barrières de champs, le matériel agricole, et les enfants pour aller à la fête du village voisin, vous êtes bien naïfs.



Poésie des rails, qui sont un ailleurs ici. C'est par là que le blé, que le maïs partent dans les hamburgers californiens. 



Il n'y a pas si longtemps, ces voitures étaient des chevaux. 



L'église d'Atlanta, château de briques pour Dieu. 



Ah, et puis un barber shop bien classique. Vous reconnaissez ses spirales blanches, bleues, rouges - dont le psychédélisme vous donne presque envie d'être bouclé. 



Et puis, pour donner une petite idée de ce qu'est la vie des gens d'Atlanta (les Atlantistes?), quelques maisons. 



Le drapeau attend la brise qui viendra le faire flotter pour crier "Amérique!" dans le silence du vent.  



J'ai été sensible au charme de ces rues larges, sans réelle séparation entre la chaussée et le trottoir, qui renforce tant l'impression de naturel et d'harmonie qui se dégage d'un village de roman. 



Le rockin' chair sur le balcon. Ce n'est pas un meuble, c'est une institution. 



Charme (comment cesser d'utiliser ce mot quand le nom d'Atlanta se trouve mêlé à nos paroles?), de ces maisons de bois colorées, si américaines. L'Amérique, ce ne sont pas que des blocks de béton dans les métropoles des films hollywoodiens ou des décors en carton pâte: elle se dit aussi en langage poétique - celui des planches, de la peinture et de l'histoire !



L'échelle sur le mur. Sûrement pas pour monter au créneau. 



La végétation mène sa danse de feuilles autour des bois architecturés des maisons. 



Habitant d'Atlanta, sais-tu que peut-être plus d'un Français rêve à ta vie de l'autre côté du monde ? ... 


Monday, December 16, 2013

L'Illinois comme il fut (66-9)


Aujourd’hui est un autre jour. Nous n’avons jamais été à Chicago, nous ne connaissons pas sa banlieue, et c’est comme si nous avions toujours vécu dans la traversée de ces immensités vertes, pas encore tout à fait vides mais déjà presque sauvages ou désormais abandonnées, que sont les paysages de l’Illinois.

Nous nous attendions à trouver du monde, à affronter des hordes de touristes européens bercés des mêmes rêves et illusions naïves que nous par la 66, à nous retrouver dans le cortège d’une mode à la poursuite du bitume et enivrée d’odeurs de moteurs fumants dans la mélodie des années 50 visitées par Elvis puis, un peu plus tard, par les premiers Beatles. Eh bien non, la route 66 est à peu près vide : c’est, sur la majorité de ses 2,448 miles (3,940 km), une highway à peu près vide, très fortement concurrencée par le freeway qui la remplaça, une petite route à une voie qui ne sert plus désormais qu’à relier les petites villes, ou plus exactement les villages, voire les maisons perdues, mais qui cependant naquirent un jour sur ses bords (ne l’appelle-t-on pas un peu pompeusement la « mother road » ?).

Il est très agréable de se laisser aller sur cette route paisible, décapotés dès que le ciel bleu le permet, à des vitesses de repos, autour de 40 mph (miles per hour) permettant aux yeux de voir les bosquets entre les champs et les panneaux indicateurs de publicités désuètes ou de bleds paumés. Tout de même, une horde de motards, blousons noirs, vieux de la vieille (mais pas encore de barbe comme au Nouveau Mexique), nous passe à côté. 

On collectionne dans les quelques pauses les mythes de la 66, dispersés le long du chemin, à commencer par les six géants de l’Illinois. Ces figures autrefois publicitaires s’élèvent gentiment au-dessus des habitants, et des maisons, sur le bord de la route, peut-être pour rappeler que même ici, l’Amérique think big, pense plus gros que l’Europe (ce qui ne veut pas toujours dire mieux). Voyez un peu, plus loin, nos photos avec le géant au hot dog d’Atlanta !

Ah! L’Illinois ! Le « Lincoln state » des plaques d’immatriculation dont les habitants sont si fiers, puisque ici tous les villages s’appellent Springfield et les écoles publiques Lincoln. Partout, des panneaux commémorent le passage, un jour, du président le plus célèbre des États-Unis, ou à peu près, que ce soit dans le nom d’une rue, d’une auberge, d’un autre bâtiment public. Depuis, deux autres présidents ont été élus alors qu’ils résidaient dans l’Illinois, répondant au nom de Ulysses S. Grant (revoilà nos lettres classiques) et de Barack Obama (ce dernier nom me dit quelque chose). Ronald Reagan, qui fit principalement sa carrière en Californie, fut élevé dans l’Illinois. L’Illinois, ces derniers temps, est donc plutôt un blue state, c’est-à-dire plutôt démocrate, même s’il fut en son temps vacillant, hésitant, « swing state ». Marque de progressisme, l’État fut le premier des États-Unis à supprimer de ses codes de lois les mesures visant à réprimer, à punir la sodomie (1961 !). Autre fait peut-être plus intéressant, trois des six blacks élus au Sénat dans l’histoire des États-Unis (du progrès reste à faire !!!) le furent à partir de l’Illinois, dont un qui fut déjà cité au cours de ce paragraphe. 

Dans cet État qui ne fit jamais partie de la Louisiane française, on peut s’étonner de trouver en roulant de nombreux noms français sur les panneaux, et pourtant le nom d’une petite ville suggère qu’il ne le faudrait pas : Normal (tous ses habitants le sont-ils vraiment?), avec sa petite église de brique rouge à coins de pierre blanche, son université étalée sur la prairie et ses maisons dispersées sur l’étendue verte ou entre les petits bois. C’est que l’« Illinoï », comme les Américains le prononcent, est bel et bien le plat Illinois, prononcé à la française. Les premiers colons, des prêtres missionnaires français, venaient du Nord, du Canada, et déformèrent le nom d’une tribu indienne locale pour donner son nom officiel à l’État. L’Illinois a commencé à se remplir d’Européens par l’Ouest, avec les Français du long du Mississippi, avant d’accueillir dans le Sud de nombreux colons américains du Kentucky par la rivière Ohio dans les années 1810, et de finir par établir, à la fin du XIXe siècle, son centre de gravité à Chicago. Voilà pour le fond français, qui n’a laissé aucun dialecte, fond dont les vestiges remontent aux origines et qui demeure toutefois jusque dans le nom des lieux.




Plus on s’enfonce sur la route, plus on suit le parcours paisible que la route suit depuis sa naissance officielle en 1926, plus les villages rapetissent, plus leurs maisons de bois victoriennes sont charmantes au milieu des prés, plus on a l’impression d’un voyage dans le temps. On s’étonne, de ci, de là, de croiser les signes d’une civilisation moderne (un hôtel neuf, une voiture récente, pour tout dire), mais on s’étonne vraiment. Un peu plus de briques, un peu plus de planches, moins de béton, la rusticité américaine. On rencontre moins d’asiatiques (aucun, en fait), moins de blacks. La signalisation routière est plus bâclée que dans les métropoles, avec par exemple deux voies qui se fondent en une seule sans que cela soit indiqué (ce qui est dangereusement surprenant la première fois). Chenoa, Towanda, souvenir repentant ou peur associée à un lieu autrefois considéré comme sauvage, les noms de lieux indiens de cet État depuis longtemps vide d’Indiens font concurrence aux noms français prononcés avec l’accent américain. Les gens que nous rencontrons, dans les stations-service, dans les villages, ne sourient pas d’emblée, mais cela ne signifie pas qu’ils ne soient pas sympathiques.  


Thursday, December 12, 2013

Illinois (1) : Wilmington



Notre première chambre de motel, dans le bois et la moquette. 



Le motel, avec ses places de parking devant chaque chambre. Deux décapotables attendent sagement leurs maîtres.  



Eclats du soleil sur les vitres, éclair de l'espoir d'un itinéraire sans heurts. 



Allez, c'est parti. Enfonçons-nous dans l'Illinois...


Sunday, December 8, 2013

Illinois, c'est toi (66 - 8)


Illinois ! Quel pays vert bouteille que l’Illinois ! Avec sa végétation continentale des pays froids, sa prairie ininterrompue, ses arbres et ses brins d’herbe assombris par les nuages. Mais avant de voir sa platitude campagnarde, il faut encore s’extraire de la gigantesque banlieue de Chicago (encore elle !), dont le tissu se desserre au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre, qu’on essaie de s’en éloigner, de l’oublier par la voiture, de découvrir des pays si possible moins intéressants pour le touriste, plus excitants pour le voyageur.

L’Illinois, donc, est l’État qui abrite Chicago, et dont Chicago n’est pas la capitale, mais Springfield, de même que Los Angeles n’est pas la capitale de la Californie ni Las Vegas celle du Nevada. Sa forme est celle de la Corse, bien qu’il n’ait rien d’une île, et sa superficie de 150,000 km2 celle d’un peu moins d’un tiers de la France, faisant mentir l’affirmation trop souvent entendue selon laquelle les États des États-Unis ont généralement la taille des États européens (c’est faux, ils sont tout de même plus petits, si l’on compare avec l’Ouest de l’Europe du moins, et si l’on abstient de considérer une moyenne forcément artificielle qui mettrait sur le même plan des pays comme la France et le Lichtenstein, qui n’ont ni la même histoire, ni la même occupation de territoire). Chicago n’en reste pas moins la troisième métropole des États-Unis par le nombre d’habitants, si l’on prend en compte la ville et sa banlieue, le gigantesque Chicagoland (l’expression est courante) qui s’étend sur le Wisconsin au Nord, sur l’Indiana à l’Est, tout en grouillant de ses quelque 10 millions d’habitants, excusez du peu, quoique le reste de l’État soit, vous allez le voir, à peu près vide. 

S’échapper de Chicago, de la « Windy City », « Second City » qui est en fait la troisième, c’est donc affronter le plaisir d’une nouveauté plus verte, et cependant affaiblie par la tiédeur des fins de fin d’après-midi, ternie par les feux atténués des lumières du soir, voilée par les premiers vêtements de la nuit, nous à la fois revigorés par de pleines assiettes de légumes frais et sous le coup de la fatigue de la préparation interminable de la voiture et des complications circulatoires du terrible et magnifique downtown Chicago. Et pourtant, on part dans un sentiment de liberté sensationnel, tel que peut le décrire par les notes la chanson d’une héritière présumée de Joan Baez, une jeune Américaine aux accents vaguement influencés par la musique country (mais encore très urbaine, on quitte doucement la banlieue !), écoutez le titre Stranger de Lissie pour ressentir un peu cette expérience d’évasion au sens propre. Sa musique rendra avec une profondeur plus intuitive nos rêves et nos soulagements mêlés d’espoirs.

Bravo, conducteurs, vous avez quitté Chicago, laissé le freeway pour le highway (la 66 qui recommence après s’être fait avaler un peu par l’autoroute), il n’y a pas grand monde sur la route mais tout de même, et vous crevez. Aïe ! Non seulement vous crevez (enfin, nous crevâmes), mais en plus nous avons roulé avec un pneu crevé, massacrant jusqu’au bout les lambeaux de pneus qui pouvaient encore doucement faire croire à l’apparence d’une roue, de voiture. Pauvre Denise, si jeune !

C’est donc au sortir des villes, entre les villages vivant encore par leurs motels et leurs espaces verts du besoin de nature que peuvent éprouver encore quelques habitants de la banlieue terriblement immense, entre ces villages, la nuit, sous une pluie fine, et heureusement pas trop loin d’un police station, que nous avons crevé, ou plutôt que notre pneu crevé a fini par ne plus vouloir, à ne plus même pouvoir rouler. C’était donc cela, le bruit étrange qui nous semblait sortir du moteur ! Que faire, sur le bord de la route, dans nos premiers espaces un peu plus vides, avec une voiture sur les bras et déjà la nostalgie de l’expérience moderne de la ville ? Nous nous rendions au poste de police pour appeler un dépanneur, qui vînt changer pour nous la roue, que nous n’osions pas changer nous-mêmes, étant donné notre besoin de la garder solidement fixée pour quelque temps et, il faut dire aussi, notre relative inexpérience en la matière.

L’homme qui nous fut envoyé fut l’un des plus imbuvables de la planète Terre (plus imbuvable que le jus de ses chaussettes s’il avait passé trois jours à survivre dans la Vallée de la Mort). Peut-être avions-nous interrompu en requérant ses services une partie de plaisir avec sa femme, pour peu qu’il en eût une qu’il ne battît pas, ou un dîner agréable avec des amis (non, je ne crois pas qu’il en eût non plus) ; car il nous fit comprendre par sa mauvaise humeur que nous n’étions pas les bienvenus dans la liste des personnes qu’il avait eues à secourir, à libérer de la pluie dans les premiers instants de la nuit. Ses paroles monosyllabiques, son dialecte plein de décibels et de paroles violentes ou vulgaires qui est celui, apparemment universel, que parlent les connards, nous faisaient nous demander comment cet homme abominable, extraordinairement rustre, que l’on rangera au placard des « expériences mémorables et finalement enrichissantes, » avait fait pour entrer dans le genre humain. Il fait soulever la voiture avec le cric, plante son outil dans la roue, saute dessus à plusieurs reprises, pieds joints, aussi vrai que notre roue défoncée était extrêmement bien fixée, puis s’étale de tout son long dans l’herbe humide du bas côté, mais hélas pas dans le fossé. « PAY ! » fut son dernier cri à notre adresse, je n’ose dire ses dernières paroles, les derniers sons émis par sa bouche avant qu’il disparaisse dans son camion pour ne plus jamais nous revoir, notre dernier contact avec la civilisation généralement si peu sympathique de Chicago.

La roue de secours installée, et la batterie aussi rechargée, nous repartions un peu sonnés pour nous laisser dormir dans le premier motel que nous trouverions, oh si possible avant minuit, et que nous trouvâmes, entre deux berges de rivières, c’est-à-dire sur une petite île frôlée souvent par les amateurs de kayak des environs (j’ai dit que c’est là qu’on allait se mettre au vert sans avoir à s’éloigner trop de la ville), dans un village du downstate Illinois,  qui partage avec des centaines de villes anonymes des États-Unis le nom passe-partout de Wilmington.

Dans la nuit, un motel de bois, avec quelques lumières sur le balcon de la cuisine vide du propriétaire, avec sa chaise à bascule sur le plancher, son rock ancien mal dégrossi par la radio borborygmisante chantant pour personne, ou alors pour l’atmosphère grinçante de ce lieu qui serait décrépit s’il avait eu de la peinture. C’est que le gérant, l’occupant principal du motel, est occupé à d’autres soucis, plus importants que l’accueil des touristes en cette heure tardive de la nuit, qui le rendent pour cela difficile à trouver, à rencontrer. On gare la voiture, on part à la recherche de l’homme en interrogeant des voyageurs encore debout à cette heure, discutant sur la profondeur et la monotonie partagées de l’Illinois, l’agrément des vacances et la futilité du monde : où est-il ? sommes-nous arrivés trop tard ? est-il possible de le rencontrer en ces moments nocturnes, tardifs, avancés dans la nuit ? Ne vous inquiétez pas, il n’est pas loin, il boit, et le voilà justement sortir de son bureau pour vous accompagner.

« Une chambre ? Oui ? Pour deux lits ? Trois personnes ? That’s OK. We have that. Park your car there. It’s gonna be 30 dollars. Credit card? That could work. »

Ce vieil homme, dont la sénilité était toute imbibée d’alcool, sortait tout droit d’un mythe de la civilisation américaine profonde, ou plutôt il n’en était jamais sorti. Avec sa queue de cheval blanche et son accent tout déformé, rendu tout approximatif par les vacillements syllabiques de son ivresse permanente, sous sa peau vieillie encore un peu par le rhum et les bouffées de tabac fumé, n’a jamais été en Californie, jamais éprouvé l’envie de voyager, jamais dépassé le Nouveau Mexique à l’Ouest, bien que connaissant, à l’Est, le Connecticut où il est né, il y a bien longtemps. Rien à cirer, de Los Angeles ! (ne parlons pas du reste du monde) Son travail consiste à laisser son petit-fils, d’une trentaine d’années, louer ses chambres pour lui et lui verser le denier de survie qui alimentera en boisson leurs prochaines cuites du soir, et de financer peut-être un jour les soins d’une éventuelle maladie du foie. Existence étrange d’un homme qui n’était pourtant pas désagréable avec nous, mais simple, et les lieux les plus simples sont souvent les plus sympathiques. En attendant, on vit ici dans un rêve, coupé du monde, nommé déjà Midwest, et l’on regarde passer les voitures.




Nous passons la nuit bien méritée dans une chambre de bois et de moquette (sur les murs, bien sûr), qui continue à me donner le sentiment d’une autre Amérique. Celle-ci, qui se trouve dans la continuité de celle, assez rustre, de l’Illinois, me rappelle le Texas de mon enfance, celui que j’eus la chance de découvrir autour de mes six ans, dans les Motels 6 et les pluies chaudes d’Austin, les voisinages de la Louisiane. La chaleur, elle aussi, est lourde et humide, et les moustiques s’agglutinent sur la lampe, dehors, sous la pluie légère dont se drape la voûte noire des cieux nocturnes de l’Illinois. Petit parfum charmant de souvenir…


Friday, December 6, 2013

Conduire à Chicago (66 - 7)


           C’est donc après un dernier salsifis pour la route que nous eûmes à affronter le début du voyage, la circulation dans Downtown Chicago, qui fut de loin la pire que nous connûmes sur tout le trajet. Comment décrire l’indescriptible ? Aux heures de pointe, la ville pleine d’entoubeillages (je veux dire par là que c’est vraiment le bazar) cumule les sens uniques de San Francisco et la mauvaise volonté des parisiens (devinez avec quelle capitale française est jumelée Chicago !).

Amis parisiens, préparez votre réservoir d’insultes, votre collection de gros mots (votre florilège d’injures et votre anthologie de noms d’oiseaux) pour la voiture qui double dès qu’on signale qu’on va se déporter sur sa voie (bon, un classique même pour LA)… pour  la rue bloquée par un individu stupide qui s’est trompé de chemin et réfléchit au milieu du passage piéton (il a choisi pour cela l’heure de pointe)…  pour l’autre rue qui se vide au compte-gouttes infinitésimal de vitesses d’escargot ou de limace parce que les voitures d’en face s’obstinent à bloquer l’intersection (oh oh, parisiens ne faites pas les innocents)… pour les malappris qui tentent de s’insérer dans la file de deux cents mètres pour éviter de faire la queue comme tout le monde…

Après avoir attendu cinq feux qu’une place se fasse dans l’intersection, une piétonne se jette sous la voiture quand le feu passe au vert, et encore, respectons-la car elle a la politesse et l’instinct de survie de traverser sur le passage piéton, contrairement à ses concitoyens. Je peux, désormais, dire que les Angelinos, qui me paraissaient parfois « un peu speed » au volant, sont extrêmement courtois et logiques dans leur manière de conduire, et prudents sur le trottoir, qui du reste est toujours vide. Réparer notre klaxon n’aura finalement pas été superficiel ! 

Enfin, enfin, on s’extrait de Chicago, espérant que « la route soit sans (sou)cis, » sortant d’une ville qui a sans conteste son charme mais aussi ses contradictions et ses inconvénients : plus de chaleur et moins de soleil qu’à LA, allez savoir comment la nature a fait son compte ! Sans compter les froids profonds de l’hiver, la neige et la nécessité de s’enfermer six pieds sous terre pour résister à l’ère glaciaire des mois de fin et de début d’année. Sans vouloir non plus afficher de snobisme pour une cité riche d’histoire, de culture et d’excellence universitaire en latin et en grec, je pense que j’aurais du mal à y vivre, que j’y serais trop porté au blues par l’attitude souvent tristounette des gens, ou du moins plus réservée, même si ces impressions sont peut-être en partie dues au fait que je ne connaisse pas bien la ville, n’y aie pas mes habitudes, ni non plus d’attaches ou encore de relations.


Mais, puisque sur la 66 comme ailleurs, l’âme des villes s’entend souvent dans la musique, je ne puis plus que vous engager à faire suivre la lecture de cet article (à vous en consoler) par l’écoute d’un son lourd de basses, résonnant entre des murs de brique, aux interprètes duquel il faut tenter de pardonner d’avoir été blancs : Sweet home Chicago, des Blues Brothers

A suivre...


Wednesday, December 4, 2013

Chicago (4) : Vers ta banlieue, Chicago

Aujourd'hui, je vous emmène dans le métro de Chicago, pour une petite virée dans la banlieue. Direction Cicero, pour acheter une voiture !



Dans le métro, à Chicago, on a beau être en hauteur, on est toujours en bas. 



Ah oui, par contre, si vous descendez en banlieue, il va falloir vous attendre à avoir le blues. 



Un uatre type d'élégance commence à poindre à mesure qu'on s'éloigne du centre.



Bienvenue à Cicero, dont vous constatez le charme de friche industrielle. 



Ces quartiers sont aussi habités, bien sûr. Là, vous commencez à penser aux Blues Brothers. Je me trompe ?



Cicero. 



Comment le nom d'un des grands auteurs latins s'est-il retrouvé ici ? C'est la magie de l'Amérique. 



Tous les pavillons ont ce petit espace entre eux, chacun a droit à ses fenêtres et à ces quelques dizaines de centimètres d'espace pour s'étirer le matin dans quelques cubic inches d'air. 



Le Loop de loin. Quelle rangée de crayons !



Les réservoirs, et un clocher. 



Finissons par des images d'usines désaffectées. Ces photos ne sont heureusement pas exhaustives; j'aurais voulu montrer les pavillons tous les mêmes en brique, pleins de souvenirs d'Angleterre, celle de l'autre côté de l'Atlantique, mais je n'ai pas d'excuse. 


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