Tuesday, March 1, 2016

Nouveau Mexique (66-29) : Santa Fe



    Chaque tronçon de route que nous parcourions entre les villes avait l'allure d'un générique de film. En allant vers Santa Fe, c'était comme un air de ballade un peu énergique et au rythme joyeux. Une sorte de « I wanna go home » sans mélancolie et s'adressant aux fêtes de cette ville artistique et amusée. Après les premières villas de bord des routes, avec leurs petits murs blancs cachant soigneusement les jardins, comme dans les banlieues petites-bourgeoises de Madrid ou de Valence, la Villa Real de Santa Fé de San Francisco de Asís, ou ville royale de sainte Foi de Saint-François d'Assise, fait son apparition.

     A première vue, on pourrait s'étonner que ce ne soit pas cette localité qui ait pris le nom de Las Vegas au Nouveau Mexique, car elle frappe tout d'abord par son caractère artificiel. Cette sorte de Santa Barbara du désert, qui est la capitale de l’État, est pleine d'hôtels imitant le style adobe (ces maisons aux murs de terre séchée) et arborant des souvenirs de l'art amérindien local. Aucun des torchis mal terminés, poutres apparentes ou fissures artificielles ne trompe le touriste qui peut se croire dans le décor du train de la mine, avant d'être arrivé au Disneyland de L.A. Ce décor en carton pâte est bien différent du reste de l'Etat : il est relié à la civilisation des loisirs par la voie rapide à 75 mph, celle des chauffeurs et des voitures de location, et l'on y vient pour se sentir isolé du monde tout en profitant de tout le confort occidental.

     Néanmoins, déambuler dans ces rues de villages de pueblos reconstitués où prolifèrent les restaurants trop chers et les magasins de souvenirs n'est pas totalement désagréable. Bien sûr, c'est un peu plus clinquant que Santa Rosa ou Cuervo, mais la ville a ses aspects festifs, et presque populaires : sur la place, un concert invite les gens à danser, et ils le font sans complexe. Les vêtements colorés, les vieilles femmes en pantalon à motifs jaunes et verts, en T-shirts roses, le goût du blue jeans et des foulards de motard tournent autour de nous dans cette fête américaine. Nous retrouvons l'un des bons aspects de l'esprit de cette nation : l'absence de préjugés, ou en tout cas la culture de l'entertainment et la possibilité pour chacun de s'amuser, à tout âge, homme ou femme, même en casquette ou en baskets, sans craindre d'être moqué. Avouez que de temps en temps, ça fait plaisir.

     De plus, malgré le vernis touristique, la ville se targue d'être l'une des plus anciennes installations occidentales aux États-Unis : on dit qu'elle fut fondée en 1607 (avant Louis XIII en France !), et la chapelle de San Miguel date de 1610. Les Espagnols, alors, eurent recours au travail forcé des Indiens locaux pour construire la ville, ce qui ne laissa pas nécessairement un bon souvenir dans les environs puisque les Indiens Pueblos finirent par la reprendre en exigeant la libération des esclaves de Nouvelle-Espagne... jusqu'à ce que les Espagnols soient de nouveau fournis en armes à feu, nous savons comment ces histoires finissent le plus souvent. Les Français aussi ont leur histoire dans la région : venus de Louisiane au XVIIIe siècle, ils se disent qu'il serait trop bête de ne pas ouvrir de voies commerciales pour écouler leur quincaillerie contre de l'argent espagnol. Enfin, au XIXe, l'archevêque Jean-Baptiste Lamy fait construire la basilique Saint-François d'Assise par des Auvergnats, dont le haut des clochers n'était toujours pas terminé au moment de notre passage.





     Le tourisme s'est donc greffé sur une ville à l'origine artistique, surtout depuis la vogue des années 80. La ville compte encore plusieurs galeries, et c'est là que nous voyons les premiers trading posts de la route, boutiques où de vrais Indiens vendent de vrais objets de leur artisanat (confectionnés pour les vrais touristes). La culture du Nouveau Mexique est un peu plus que des guitares et la langue espagnole au fond des États-Unis. Sans m'enfoncer dans les profondeurs du détail esthétique, je peux dire qu'on ressent un style Nouveau Mexique, caractérisé par des couleurs vives (peut-être à la fois celles des Indiens, des Mexicains et de la civilisation américaine) et une certaine excentricité assumée et naturelle, qui ne correspond pas au plaisir anglais de se distinguer, mais au goût de la liberté du milieu du désert, de faire ce que l'on veut avec ce qu'on a, pour qui l'on veut, avec le plaisir de se laisser de temps en temps étourdir un peu par le soleil.

     Quant aux hommes (je voulais dire « les habitants », mais on les voit rarement habiter : ils sont toujours sur leur moto à traverser le désert ou joindre des vallons, à passer des nuits au motel et des repas dans une chaîne de fast-food), ils sont différents aussi. Sauf dans les fêtes, on les sent au premier abord plus renfermés, plus méfiants, plus tristes peut-être que les Texans ou les Missouriens, qui nous accueillaient chaleureusement et à bras ouverts. Ils portent un visage brûlé à tel point que, gringos ou Mexicains, il est devenu difficile de faire la différence. Il ne s'agit pas seulement du bronzage des pays que fréquente le soleil, mais aussi de la peau sèche, ridée, assombrie, où la poussière se mêle au tan naturel. La forme de leurs moustaches fait aussi sentir, s'il en était besoin, la proximité du Mexique (l’ancien).

     Nous quittons la ville en suivant l'un des mythes de ce pays, qui existe bel et bien : le gros motard en T-shirt, barbu, avec un foulard pour protéger son crâne chauve, à défaut de casque (qui est bon pour les riders de pacotille de l'Illinois en blouson de cuir...), sur une énorme Harley Davidson, avec les petits rétros au bout des antennes. Pour moi, ce personnage de motard solitaire, à qui la vitesse donne un calme olympien, représente tout le Nouveau Mexique, fait de villages du désert ou des vallons, très loin de la civilisation new-yorkaise ou hollywoodienne, mais pleine d’aspirations à la liberté, à l’indépendance, aux déplacements entre des lieux secs et brûlés mais que, pour cela même, les gens des autres États ne viendront jamais voler aux Néo-Mexicains. Il descend les étendues désertiques d'après Santa Fe, de plus en plus jaunes, de plus en plus sables. Il va peut-être rejoindre l'un de ces casinos que l'on croise par là-bas sur la route, vivre d'autres rêves au Nevada, ou tout simplement vérifier si la ligne d'horizon est bien la frontière de son État.

     Le générique, bien sûr, c'est La Grange de ZZ Top.



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