Friday, November 8, 2013

Over the Midwest (66 - 3)

              Le Midwest est quelque peu plus couvert que le Grand Ouest ; ses cieux sont pommelés ; c’est ce qui fait son charme de pays vert aux vallons bucoliques, où vivent les vaches des hamburgers de McDonald’s. Au-dessus des plaines herbeuses, on voit donc des plaines de nuages, et des roches vaporeuses au-dessus des roches minérales que l’on vient de quitter. Qui pratiqua à pied leurs paysages inconnus, leurs vides pleins de neiges évanescentes, leurs rêveries de lumière, de légèreté, de blancheur, de hasard ? Qui s’est jamais foulé la cheville sur un altostratus, a jamais couru son marathon sur les prairies des cirrocumulus, s’est jamais vautré dans la barbapapa des cirrus et des cirrus floccus ? Pas grand monde, il est vrai, aussi vrai que dans ce pays du ciel, on ne trouve guère que des aviateurs et des météorites (de préférence pas en même temps). Pour nous, l’avion continue de danser sa danse d’ailerons, lente, faite de balancements doux et d’inclinaisons délicates ; il poursuit sa nage élégante dans le ciel, au-dessus de spectacles toujours fantastiques, tandis que le coton des intempéries continentales demeure, comme une couverture, sur le paysage du dessous, et explique, quelque part, que tout soit si vert par là-bas : les nuages sont comme la crème solaire des peaux fragiles des basses atmosphères. 

Cette couverture révèle peu à peu en se retirant l’inévitable patchwork vert et jaune formé par les cultures, la marqueterie céréalière des champs, la composition mondrianienne des blés et des maïs diversement mûris. Sous leurs vêtements de tissus si reprisés de démembrements et de remembrements, c’est sans doute le Kansas, ou le Nebraska, qu’on survole, désormais loin des canyons. Ce sont des champs de champs, des champs ronds et des champs carrés, mais toujours réguliers comme de la géométrie (c’est un cours de géométrie ornementale, ou plutôt celui de l’école primaire, qui permet aux enfants d’apprendre les formes les plus simples). Cette régularité humaine, celle des lignes et des angles droits repassés par les tracteurs, finit par apparaître comique après les ondulations colorées des gorges, les plissements rebelles de la terre, les effondrements monumentaux de côtes, bref dans le pays de l’irrégularité, qu’est le monde. Mais tout de même, pourquoi autant de champs si les Américains ne mangent pas de baguettes, de poilâne (ou de pains au chocolat) ? Ah ! Pardon ! J’oubliais les hamburger buns et le pop corn. C’est donc là que les cinémas de Hollywood se font fournir !

Quelques espaces plus naturels bordent ces immenses champs. Des restes de cratères dévorés par la végétation vous donnent l’impression de survoler une lune verte. Les arbres des vallées semblent des mousses alimentées par les filets d’eau que sont les torrents, que sont les rivières que l’on croit voir de là-haut. - Là-haut ! Quel beau mot ! Dieu doit avoir une belle vue, du ciel (surtout s’il voit à travers les nuages) et cela donne envie d’aller au paradis. Mais le temps passe avec les paysages, l’avion poursuit toujours son Est, cherche l’endroit où la nuit s’est déjà levée, qui, en principe, se trouve derrière celui où le soleil est en train de se coucher.

C’est donc une chambre à coucher que l’on traverse avant d’arriver dans la ville du blues, du soir, de la nuit par excellence. Pour achever ce qui avait fini par devenir une après-midi, le soleil s’alite, pour une fois, dans le ciel, pour changer de ses habituels horizons terrestres faits de champs ou de montagnes. Il s’enfonce doucement (flemmard, va) dans l’édredon du lit superposé qu’est pour lui le continent à la dérive des nuages dont la lumière décline, le gigantesque chou-fleur céleste qui lentement s’assombrit, ce qui fut le fantasme discret des parachutistes et des delta-planeurs étant bientôt gris comme une pollution. Alors… alors on voit le soleil rouge se noyer dans les nues, en faire plus rien qu’un paquet incandescent, plein des grumeaux de sa lave céleste qui brûle le ciel jusqu’aux charbons et aux cendres d’une nuit brillante à peine de quelques petites braises d’étoiles. Puis le pays est froid comme un feu éteint. La fumée blanche est devenue noire ou grise, le spectacle est terminé. Fais de beaux rêves, soleil. Moi, mon cerveau, quand je ferme les yeux, voit des tentacules aqueux dans des canyons, des bras d’eau pleins des doigts que sont les rivières, des souvenirs sinueux et des images labyrinthiques. Merci, Soleil, d’avoir brillé aujourd’hui comme toujours, et d’avoir écarté de ton bras lumineux les rideaux des nuages devant le spectacle plat des villes, des paysages, du vide, du désert, des routes fines comme des fils, et des canyons assis dans les montagnes ou craquelant les vallées plus immenses que des mers.

Enfin, puisque la nuit est tombée, l’homme allume des lampes au bord des rivières, il constelle ses vallées de lumière artificielle. Les villages électriques sont faciles à détecter sur la plaine noire après la dissolution des derniers strato-cumulus, de même que les rivières dorées de phares automobiles au ras du sol. Dire que l’une d’elles est peut-être la route 66 ! (Je me rendrai compte, plus tard, que la vieille 66 ne dispose en fait que rarement d’un éclairage public.) Mais la 66, bientôt désormais ! L’Illinois des petites villes que nous allions commencer à traverser le surlendemain fait place petit à petit à une flaque immense de lumière urbaine, une agglomération de perles étincelantes, un tissu plat d’éclairages orangés ou jaunes selon la puissance ou la vétusté des quartiers, des routes, des infrastructures. Le tissu urbain, dont le quadrillage impressionnant manifeste la régularité caractéristique des métropoles américaines, apparaît comme un monde orange et noir qui scintille, un filet de blanc et de halos grouillant de ces insectes motorisés que sont les voitures sur les routes, dans les rues. Chicago existe donc vraiment ! Ce n’est pas qu’un dessin sur une carte ou un mensonge de Google Earth ! Bonsoir, Chicago –je suis à toi dans quelques minutes !  

On constate alors aisément qu’il s’agit d’une des plus grandes métropoles américaines, une sorte de capitale du Midwest et un centre d’échanges général pour les patrons de l’agrobusiness américain. Elle peut sembler, par sa banlieue, un peu moins dense que Los Angeles, mais la superficie ne paraît pas moins grande, du moins à partir du poste d’observation aéronautique moins exact que celui des chiffres et de la statistique. La ville se densifie à mesure qu’on approche du centre, qui se situe au bord du lac Michigan et comprend l’aéroport international O’Hare. Sans doute par curiosité, l’avion se penche vers ce lac jouant par sa taille à la mer, et en descendant nous rapproche du peuple de lampadaires, des quelques immeubles qui de notre point de vue semblent à peine plus haut que les maisons et dont les fenêtres ne dorment pas non plus la nuit, des mailles innombrables du filet résidentiel et lumineux. On voit tout de mieux en mieux, et tout semble de plus en plus beau : moi qui ne connaissais cette parure doucement brillante qu’à Paris, le pays des rois et des monarchies absolues (pire ! des Présidents de la République) riches jusqu’à faire mourir de faim les hommes dans les campagnes, j’aimerais arrêter d’écrire, pour pouvoir mieux regarder.

En fait, l’avion va se coucher sur ce tapis merveilleux d’artefacts humains, glisser délicatement sur une ligne précise de cette surface éclairée, se reposer du ciel sur la terre. Ca y est, on retrouve ce qu’est le sol, qu’on croyait avoir quitté – la pesanteur, le béton sous les pieds, une certaine stabilité qui fait parler de terre « ferme » et qui accessoirement permet de rouler. Bien visé, l’avion ! Pile entre les lumières bleues de la piste d’atterrissage. On est à Chicago, vraiment ; et pourtant j’accepterais déjà de rentrer à LA : j’ai vu tant de beautés jusqu’ici, pendant le vol ! C’est cela qu’on paie dans un billet en réalité, cette beauté inaccessible qu’on nous vend pudiquement sous l’expression bureaucratique de « taxes d’aéroport ». Eh ! Stop ! Les divagations, c’est fini ! C’est la route, maintenant, qui va commencer (quand on aura trouvé une voiture). Cessons de déraisonner ! Vite, une navette et direction le youth hostel ! Le top départ de la route 66 !




Voilà comment on prend deux heures de décalage horaire.

A suivre...


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