Wednesday, November 20, 2013

Les gens de Chicago (66 - 5)

     
           La densité de circulation sur les trottoirs de Chicago peut décourager le voyageur venu pour la simple admiration du bâti. On se surprend à retrouver certains sentiments parisiens : « Comment vais-je réussir à doubler ce piéton après avoir slalomé trois fois entre les groupes de devant et m’être trouvé face à face avec cinq personnes en rang sur toute la largeur du trottoir ? »

Ici, le crime de ralentir sur un trottoir est presque aussi sévèrement puni que dans notre capitale : dans le flot des piétons, une jeune femme me demande de marcher plus vite (-En bousculant les gens de devant ou en défonçant la barrière des travaux, mademoiselle?), puis elle trouve (heureusement pour moi) un moyen d’accélérer son mouvement vers le lieu sacré où son urgence la poussait, un établissement vénérable en bas d’un building, oui, un temple de l’Amérique s’il en est : un magasin de Saint-Disney, où elle allait assister (et participer, car on participe toujours à une messe, sinon ce n’est qu’un spectacle) à la messe de la consommation hebdomadaire de son existence (amen le caddie), communier à l’acte sacré de l’achat, et rentrer chez elle toute légère de la bénédiction solennelle de la caisse.

En vérité, ici, les gens semblent plus préoccupés qu’à LA, sans cesse affairés, pressés, en costume de businessman ou de cadre supérieur. Ils ne sourient pas aux inconnus, et de toute façon sourient moins ; leurs regards sont vides ou tournés vers le sol : parce qu’on ne se nourrit pas des illusions de Hollywood ? parce qu’il est plus banal de croiser quelqu’un dans la rue ? parce que c’est la ville du blues et des gangsters ?

Bon, et en même temps disons-le, on croise moins de BG que dans la Cité des Anges. Les Apollons de muscles et de tatouages, les minces Vénus blondes ne se retrouvent pas sur ses trottoirs grouillant de monde. Les habitants, en général, sont relativement plutôt plus ou moins sensiblement généralement assez dodus (prenez « dodu » dans toute la largeur du terme) ; par exemple, le bonhomme Michelin pourrait rayer son nom du Guinness mondial des records. On croise beaucoup de blacks, qui représentent tout de même un tiers de la population, du fait des grandes migrations qui ont suivi l’abolition de l’esclavage dans le Sud, à côté d’un tiers de caucasiens et un tiers d’origines diverses.

Pour leurs vêtements, certes, les gens de Chicago ont un tant soit peu de goût, ou du moins un goût différent, plus sobre que vers l’autre océan ; en tout cas, ici, on sait qu’on ne met pas de baskets sous une jupe (c’est un secret européen). Les jeunes filles, aussi, et cela mérite sans doute d’être remarqué, ont à leur beauté cette imperceptible imperfection qui fait qu’il est possible de tomber amoureux d’une fille, et dont il m’est difficile de ne pas penser que c’est aussi un caractère européen. En attendant, à tous ceux qui ironisent sur la superficialité de LA, à commencer par les pseudo-hippies de San Francisco et les touristes exigeants envoyés par la France, j’aimerais montrer ce Chicago, qui serait tellement plus agréable avec des sourires au lieu de l’absent-mindedness ou des grimaces.
 
Les habitants de Chicago nous ont donc paru globalement réservés comme des Européens français, sans pour autant être timides, même si les employés des magasins et les serveurs des restaurants se montraient tout aussi serviables que ceux du reste des États-Unis.  Car on trouve encore à Chicago des occasions de dire merci : une dame vient vers vous, petit voyageur perplexe devant un plan municipal, pour vous expliquer par où passer pour gagner en métro telle avenue plus ou moins lointaine tout en évitant de tomber par inadvertance dans le jardin d’Al Capone, puisque avec ses quatre-cent meurtres par an (contre presque mille dans les années 1970), la criminalité à Chicago reste plus élevée encore qu’à Los Angeles ou New York.

            Quant aux personnes sans abri, elles m’ont semblé plus nombreuses que dans notre métropole californienne, moins agressives qu’à San Francisco, quoique je ne puisse pas non plus porter de jugement solide après seulement une ou deux journées passées dans la ville. En tout cas, assis au coin d’une rue ou à la sortie du supermarché, ils regardent passer tour à tour la gentillesse, la mauvaise et la bonne conscience, la générosité en étant parfois aussi maigres que leurs dreadlocks. On n’aura jamais fini de parler des écarts de richesse aux États-Unis, qui sont les plus grands de la planète, même s’ils sont assortis d’une mobilité sociale relativement plus élevée qu’en Europe. L’Amérique est à la fois aussi grande que ses buildings et aussi petite que les économies de ses sans-abri.  

             A suivre...


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