La densité de circulation sur les trottoirs de Chicago peut décourager le voyageur venu pour la simple admiration du bâti. On se surprend à retrouver certains sentiments parisiens : « Comment vais-je réussir à doubler ce piéton après avoir slalomé trois fois entre les groupes de devant et m’être trouvé face à face avec cinq personnes en rang sur toute la largeur du trottoir ? »
Ici, le crime de ralentir sur un
trottoir est presque aussi sévèrement puni que dans notre capitale : dans
le flot des piétons, une jeune femme me demande de marcher plus vite (-En
bousculant les gens de devant ou en défonçant la barrière des
travaux, mademoiselle?), puis elle trouve (heureusement pour moi) un moyen
d’accélérer son mouvement vers le lieu sacré où son urgence la poussait, un
établissement vénérable en bas d’un building, oui, un temple de l’Amérique s’il
en est : un magasin de Saint-Disney, où elle allait assister (et
participer, car on participe toujours à une messe, sinon ce n’est qu’un
spectacle) à la messe de la consommation hebdomadaire de son existence (amen le
caddie), communier à l’acte sacré de l’achat, et rentrer chez elle toute légère
de la bénédiction solennelle de la caisse.
En vérité, ici, les gens semblent
plus préoccupés qu’à LA, sans cesse affairés, pressés, en costume de businessman
ou de cadre supérieur. Ils ne sourient pas aux inconnus, et de toute façon
sourient moins ; leurs regards sont vides ou tournés vers le sol : parce
qu’on ne se nourrit pas des illusions de Hollywood ? parce qu’il est plus
banal de croiser quelqu’un dans la rue ? parce que c’est la ville du blues
et des gangsters ?
Bon, et en même temps disons-le,
on croise moins de BG que dans la Cité des Anges. Les Apollons de muscles et de
tatouages, les minces Vénus blondes ne se retrouvent pas sur ses trottoirs
grouillant de monde. Les habitants, en général, sont relativement plutôt plus
ou moins sensiblement généralement assez dodus (prenez « dodu » dans
toute la largeur du terme) ; par exemple, le bonhomme Michelin pourrait
rayer son nom du Guinness mondial des records. On croise beaucoup de blacks,
qui représentent tout de même un tiers de la population, du fait des grandes
migrations qui ont suivi l’abolition de l’esclavage dans le Sud, à côté d’un
tiers de caucasiens et un tiers d’origines diverses.
Pour leurs vêtements, certes, les gens de Chicago ont un tant soit peu de goût, ou du moins un goût différent, plus sobre que vers l’autre océan ; en tout cas, ici, on sait qu’on ne met pas de baskets sous une jupe (c’est un secret européen). Les jeunes filles, aussi, et cela mérite sans doute d’être remarqué, ont à leur beauté cette imperceptible imperfection qui fait qu’il est possible de tomber amoureux d’une fille, et dont il m’est difficile de ne pas penser que c’est aussi un caractère européen. En attendant, à tous ceux qui ironisent sur la superficialité de LA, à commencer par les pseudo-hippies de San Francisco et les touristes exigeants envoyés par la France, j’aimerais montrer ce Chicago, qui serait tellement plus agréable avec des sourires au lieu de l’absent-mindedness ou des grimaces.
Les habitants de Chicago nous ont
donc paru globalement réservés comme des Européens français, sans pour autant
être timides, même si les employés des magasins et les serveurs des restaurants
se montraient tout aussi serviables que ceux du reste des États-Unis. Car on trouve encore à Chicago des occasions
de dire merci : une dame vient vers vous, petit voyageur perplexe devant
un plan municipal, pour vous expliquer par où passer pour gagner en métro telle
avenue plus ou moins lointaine tout en évitant de tomber par inadvertance dans
le jardin d’Al Capone, puisque avec ses quatre-cent meurtres par an (contre
presque mille dans les années 1970), la criminalité à Chicago reste plus élevée
encore qu’à Los Angeles ou New York.
A suivre...
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