Monday, October 17, 2016

Arizona (66-35) : La danse de la pluie



     Après avoir croqué dans les tartes de Williams, qui se cuisinent dans une bâtisse de bois à l'ombre des sapins sous le flanc des montagnes, nous suivons le spectacle que la route fait sur les hauteurs qui nous entourent. Le soleil les habille ou les déshabille successivement d'ombre et de lumière, jouant de leur éclat ou de leur nudité, de leur côté magistral ou de leur nudité. Les buissons clairsemés sur l'ensemble de leurs flancs, les taches vert clair sur l'étendue vert foncé, les apparitions vert pomme sur la plaine vert bouteille montrent que la forêt s'efface progressivement à mesure que la montagne s'apprête à redescendre.

     Ces dernières montagnes cachent à peine un lieu voisin qui donne son surnom à l'Etat : N’est-ce pas le Grand Canyon que nous apercevons au loin ? Si ! Si ! Si ! Si ! (C’est l’écho qui répond.) Le Grand Canyon state avait gardé pour ce tronçon de la route le front rocailleux des montagnes, le dos rocheux des collines, les roches à fleur d'herbe qu'ont aussi les tableaux mystérieux de Friedrich, ce peintre allemand qui sut si bien écouter la nature, mais aussi certains tableaux impressionnistes américains du XIXe siècle que nous connaissons moins, peut-être à tort parfois.

     Cette descente provisoire dans les Rocheuses nous a fait découvrir le fond des vallées, apercevoir le creux des canyons, voir la roche jaillir sur ses propres flancs, en des sculptures naturelles rendant inutile tout ajout ornemental dans le style du Mont Rushmore, toute falsification permanente ou provisoire de la nature.

     Pour agrémenter ce spectacle où les oiseaux s'envolent en essaims au coin des rochers, la pluie se met à jouer avec le ciel et le paysage. Par chance, nous avons remis la capote, car les quelques passages de freeway inévitables ne nous permettent pas de nous arrêter. En fait, les nuages fondent à la frontière de l'Arizona et de la Californie, air chaud contre air froid, comme sur le Montpellier français quand il reçoit les nuages du Nord.



     Dans l’Arizona des plateaux et des pins servis dessus, avec sa sauce de rivières versées par la pluie, les routes, le long des collines, se font fleuves, et tout en s'imaginant être en voiture, on est en bateau. Les paquebots que sont les camions lancent leurs vagues immenses en doublant – est-il besoin de préciser dangereusement?- dans les virages où la brume enlève à la route le peu de visibilité que la côte lui avait laissée.

     Par précaution, puisque notre toit n'est que de toile, nous réfugions Denise sous l'auvent d'une station-service. Nous reprenons de l'essence, et soudain, problème de klaxon : au milieu de la pluie, du froid, de l'humidité, le klaxon se met à gémir un cri interminable, dès que nous mettons le contact. Plutôt gênant pour reprendre la route et croiser d'autres véhicules, même s'ils ne sont pas nombreux sur la 66. Le problème est vite réglé grâce aux conseils du mécanicien, mais avec la pluie, les souvenirs du Texas reviennent : encore la fin du monde ? Si près du but, ne verrons-nous jamais la Californie ? Heureusement, le ciel n'est pas aussi noir qu'alors, le soleil est caché mais pas absent et au fond, est-il vraiment étonnant, après tant de beaux paysages, que le ciel se mette de temps en temps à pleurer ?

     ***

     Cette grosse, longue averse passée, nous reprenons la route en quittant ce village qui fut notre refuge, et nous croisons notre première voiture à contre-sens, cherchez l'erreur elle est facile à trouver. Les nuages qui coiffaient, quelques minutes plus tôt, leur longue chevelure d'eau dans le vent, la laissent renaître en vapeurs sur le bitume pénétré de rayons. Voici des miroirs jetés par la pluie entre les collines, des flaques faites pour refléter à la fois le ciel et l'herbe, les barrières et les arbres ; voici les lucioles d'argent diurnes que sont les gouttes de pluie restées sur la route dans le soleil revenu ; et, au risque de paraître un peu niais, le ciel envoie un arc-en-ciel dans notre rétroviseur.

     Bientôt, la voiture plonge dans la vallée depuis le haut d'un canyon, sans savoir où s'avancent ses pneus avant. Nous voyons pourtant des vallées, des plaines se reposant entre de grandes et de petites collines. Ces collines ont parfois un front rocheux : ce dernier fait l'effet de dernier lieu où ne se hasardent plus les hommes ni la végétation, un peu plus hardie que son supérieur sur l'échelle naturelle. Dans les fins d'après-midi, ces roches abreuvent leurs couleurs variées de jaune, ocre, rouge, brun, jaune encore, des derniers rayons de l'astre du jour, si propice aux voyages.

    Denise court sur la route à travers la plaine, chaussée de pneus (mmh, tu sens bon l’essence), suivant les lignes jaunes de la route américaine, sans jamais les franchir, sagement. La route 66 oublie de tourner et se suit elle-même dans sa continuité pourtant rarement monotone. La trajectoire est si rectiligne que malgré les 55 miles par heure, nous n'avons plus l'impression d'avancer, mais plutôt celle de faire du sur place. Des panneaux demandent aux conducteurs d'allumer leurs phares pour prévenir les voitures venant d'en face qu'elles vont en croiser une autre, et qu'il vaut mieux par conséquent ne pas s'endormir. Les sapins, les rochers, le cri des Indiens même, sont désormais passés, comme s'ils avaient été effacés par la pluie.




     On suit les trains tirant leurs conteneurs colorés dans les vallées immenses. Le vide des plaines est impressionnant. Comme Français, nous connaissions les étendues vastes, immenses, l'horizon, les panoramas et les photographies à 360° mais pas le plat infini de ces étendues vides.




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