On the
road again. Toucher le volant me fait
entendre la musique d'un générique de film aux airs de ZZ Top, par
un mécanisme secret de correspondances baudelairiennes. Les
guitriques électares graves et saturées, mais aussi lentes, pleines
de souvenirs de blues,
accompagnent cette conduite si fluide sur une route qui semble se
dérouler pour nous comme un tapis sur la terre rouge et les
dernières herbes sèches du désert. Tranquilles, paisibles, avec un
profond sentiment de liberté qui ne veut pas s'arrêter et ne le
pourra jamais (pour dire, à l'heure actuelle, il crie encore dans
mon cœur!), nous descendons ces étendues immenses, sans fin, dont
la surface et la lumière semblent égaler celles du ciel. Nous
n'étions nulle part, notre voiture avançait doucement sur la carte,
et la vie n'était pas ailleurs que là où nous nous trouvions,
infinie, profonde, éternelle. Je pense que si je meurs un jour, et
que je devienne un fantôme, j'irai hanter une maison abandonnée au
Nouveau Mexique, pour me rappeler ces instants, et faire peur aux
touristes qui profiteront des successeurs d'Air BnB.
Le train !
Le train ! Une autre route 66 se dessine, en rails, le long de
la nôtre, rejoint nos paysages et partage la vue. Train jaune et
bleu, comme tu vas vite et que tu es long ! Nous ne le savions
pas, alors, mais c'était le début d'une longue course qui n'allait pas finir avant la Californie. Au milieu des plaines de terre
rouge à la végétation désertique s’encadrant de massifs
montagneux qui rappellent les falaises de Monument Valley, ou plus
simplement du fond sur lequel systématiquement les réalisateurs de
westerns font courir les diligences, nous avions trouvé notre
compagnon de route.
Ce dernier,
bien sûr, ne nous accompagne pas longtemps, étant donné sa vitesse et
la grandeur des rêves qui l'animent, lui aussi (car comment ne pas
penser au jeune Bob Dylan, qui voyageait clandestinement sur les
trains de marchandises?). Il nous laisse dans les dernières maisons
de Tucumcari, qui sont un pâté de maisons isolé du reste, au bord
des rails, au milieu du désert. Quelques-unes, encore, ne sont pas
abandonnées, et servent sans doute à la famille (mexicaine, donc
grande) du gérant de la station-service, encore en fonctionnement.
Les gros pick-ups semblent méditer sur la vastitude des étendues,
avant de repartir faire du bricolage ou du business, ou les deux, à
travers l'Etat. On trouve encore des jardins, à demi sauvages et
résistant à la sécheresse (les quelques nuages, quelques averses
que nous apercevons derrière les falaises nous font penser qu'elle
n'est pas perpétuelle). Une ou deux fleurs, comme celles qu'on voit
dans les prairies des bandes dessinées de Morris, à la fois drôles
et charmantes. Mais il était temps de s'enfoncer dans d'autres
plaines, plus profondes, et de rejoindre une autre fleur, celle de
Santa Rosa.
A ce stade
de l'itinéraire, la route 66 se divise en deux parties : l'une
s'en va tout droit, et coupe l'Etat en deux ; l'autre, la boucle
de Santa Fe, vous emmène au creux des vallons, des canyons secs,
craquelés, et des villages ignorés du monde, presque de leurs
habitants (et à la touristique Santa Fe). Juste avant la
bifurcation, Santa Rosa est le premier de ces villages, du moins il a le
style d'un village, avec ses maisons basses, roses ou ocre, son calme
et le flegme de ses habitants. Ses rues quadrillées rappellent le
plan des villes américaines, et à mesure que nous montons et
descendons les collines dont elle est bossue, il est difficile de ne
pas imaginer des films de gangsters, des affaires louches au coin des
rues, des westerns contemporains, malgré le calme et le soleil, ou à
cause d'eux.
Santa Rosa,
je pense, est née du trou bleu, le Blue Hole
que l'on trouve quelques pas sous la ville. Cette bizarrerie, cette
couleur improbable dans le désert quand il ne s'agit pas du ciel,
est une petite mare à l'eau claire, à ceci près qu'elle fait 25
mètres de profondeur. Ce qui fut probablement un réservoir d'eau
bien pratique en ce lieu de la terre sert désormais de piscine aux
enfants de la ville. Les jeunes Mexicains viennent y sauter d'un
rocher de quatre mètres de haut, rire et crier (caramba!) dans la
fraîcheur des 15 degrés. Pour le comparer à la piscine du Motel 6,
nous garons Denise le temps d'un plongeon. Verdict : l'eau du
motel a un peu plus de chlore. Même si nous ne sommes pas parvenus à
atteindre le fond, nous avons goûté à notre première communion
avec l'Elément Naturel, le chamanisme n'est jamais loin.
Jusque là,
dans mon esprit, le Nouveau Mexique avait été associé à deux
références, et je ne connaissais rien d'autre à son sujet. La
première, les essais atomiques dans le désert (heureusement, nous
n'avions pas décapoté, au cas où), qui montrent bien que le
Nouveau Mexique est un État relativement vide. Ces essais, néanmoins,
ont lieu un peu plus loin que la 66, dans un désert de sable blanc,
qui peut rappeler la Vallée de la Mort, les plages de Carmel ou le
sel La Baleine en plus radioactif. Je les soupçonne en tout cas d'être à l'origine
des soupçons de descentes d'ovnis sur la planète Terre :
franchement, les trous dans le sol et les objets volants non
identifiés étaient-ils des éléments suffisants pour créer un
musée des extraterrestres ? La deuxième référence que je
possédais du Nouveau Mexique était plus récente :
rappelez-vous, c'était l’État des États-Unis que n'avait jamais
dépassé de sa vie le grand-père alcoolique du motel de Wilmington
dans l'Illinois, au début de notre voyage. De son point de vue, comme un peu du nôtre, nous étions donc au bout du monde.
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