Tuesday, February 2, 2016

Nouveau Mexique (66 – 26) : Un nouveau monde



     Tucumcari : autre ville, autre monde. Encore une ville qui n'en est pas une certes, mais la longueur du nom compense le petit nombre de maisons. Et puis voilà deux havres de paix, deux ports où reposer la voiture et remplir nos estomacs : Denny's, un de ces restaurants américains ouverts à toute heure du jour et de la nuit, qui donna son nom à notre voiture Denise, et le Motel 6 pour dormir. De cette partie de la journée hors de toute portion du temps calculée par l'heure des montres et des horloges humaines, je ne me souviens que de noir, de l'enseigne du Motel et du burger salade riche en avocats qui m'attendait dans une assiette. Sans doute était-ce un effet du rêve propre au Land of enchantment que se réclame le Nouveau Mexique. En tout cas, une chose semblait sûre : une nouvelle vie nous attendait après la fin du monde.

     Le Nouveau Mexique, une autre Route 66 qui commence. Le chanteur country traite sa guitare avec moins de mélancolie et plus de mystère; il laisse bercer sa voix par les trompettes, avec le regret de n'être pas lui-même mexicain, même s'il l'est presque devenu avec les rayons du soleil et l'oubli des hommes dont il bénéficie. Car le vrai Mexique, sans doute, ce n'est pas les plages et les night clubs de Playa del Carmen ou la cour de récréation sinistre de Tijuana (rappelez-vous la chanson de Manu Chao) : le vrai Mexique -et on en sent un écho, un vent ou une poussière d'odeur au Nouveau Mexique- ce sont les plaines arides, les vallons secs et les maisons basses – le calme, les cailloux, et, de temps en temps, un rapace dans le ciel bleu.

     Cette autre Route qu'ouvre le NM et qui dure jusqu'aux abords de la monstrueuse agglomération californienne, ce sont des couleurs vives dans les vêtements et le paysage, le pendant sec des hippies humides de San Francisco, une bohème américaine, les substances hallucinogènes cachées dans les motos du film Easy Rider (dont les rêves ont heureusement laissé une trace sur le paysage), le Bagdad Café. C'est une Route moins traditionnelle, ou alors d'une autre tradition, mais toujours aussi délicieusement grinçante de ses années 50 qui n'ont jamais réussi à partir, de son passé qui habite toujours inexorablement le présent – car sur les bords de la 66, le passé ne sait pas qu’il est passé ! il se croit encore chez lui dans le présent, qui n’est du reste qu’une idée bien vague au milieu du désert.





     Le matin, donc, réveil entre les murs du motel. Premiers rayons du soleil depuis la fin du monde. La vie naturelle semble avoir recommencé, mais nous ne savons plus d'où nous venons. Pourquoi sommes-nous ici, c'est-à-dire nulle part ? Ah oui, la Route 67, c’est ça ? Ah non, 69 ou 66. Mais où va cette route, déjà ? Ne sommes-nous pas tombés dans le piège d'Alice au pays des merveilles, perdue dans un songe plein d'erreurs logiques et de personnages surréels ? Depuis le balcon du motel (ou plutôt la passerelle qui mène aux chambres de l'étage et moins chère qu'un couloir parce que le vent la nettoie), la vue n'est pas là pour nous démentir : l'étrangeté du désert, rouge, pommelé de secs petits buissons verts, nous rappelle les couleurs et paysages d'un Magritte ou d'un Dali (n'est-ce pas de ces êtres étranges que le Créateur, le Grand Esprit du monde vénéré des Indiens, s'est inspiré pour peindre le désert du Nouveau Mexique ? ).

    Avant de partir, et pour nous remettre de ce bouillon soudain d'étrangeté, d'oddity dans la poussière et le son des flûtes, nous nous abandonnons à l'élément liquide : après avoir vérifié, par précaution, qu'il ne s'agit pas d'un mirage, nous nous glissons dans la piscine. La piscine : celle-ci est l'un des piliers du Motel 6, avec le minimal continental breakfast et la machine à glaçons qui retentit pendant la nuit – véritable institution américaine, je dirais mythe s'il appartenait au passé, mais je crois qu'on peut le soupçonner d'avoir surtout un long avenir. Quand Uber et Air BnB auront fini de conquérir la planète, les gens iront encore faire des road trips aux Etats-Unis pour dormir dans les Motels 6 et plonger dans une piscine au milieu des étendues de sable ou de rochers.

     Dans cette tentative de rafraîchissement, dans la joie de voir l'eau s'éclabousser dans la lumière après être tombée, la veille, dans une nuit précoce, nous croisons un jeune garçon américain, accompagné de sa single mother. Le pauvre vient d'Ocklahoma, il a bien raison de partir en vacances. A peine avons-nous le temps d'admirer avec un sourire son aplomb, son absence de timidité bien américaine et sa sympathie, que, du fond de l'élément liquide, nous entendons les appels de la Terre qui nous demande, nous réclame les caresses à grande vitesse de pneus que Denise, le quatrième personnage de ce voyage (ou plutôt le premier) sait si bien donner au bitume ou au béton qui chatouillent encore les plaines que veulent traverser les hommes, si possible sans s'y arrêter. 






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