Plaines, ranchs, canyons : voilà ce qui suit Mc
Lean en direction d’Amarillo, prochaine grande ville sur le chemin. Derrière la
vitre, champs de maïs, qui donneraient du pop corn pour tous les cinémas
de Los Angeles (je pèse mes mots) ; machines agricoles immenses, avec des
bras de métal assez grands pour arroser la terre entière ; champs
d’éoliennes, dont les pales dansent leur danse ronde et électrique pour faire
oublier que le Texas est l’État des États-Unis qui émet le plus de gaz à effets
de serre (oh, 680 milliards de kilos par an) et, s’il était un pays
indépendant, le septième au monde ; ceci est une conséquence des usines au
charbon du sud de l’État, et de ses industries manufacturières, et de ses
camions énormes, et du bas prix de l’essence, bouh les méchants Américains.
Quand ce ne sont pas ces champs
d’électricité ou de maïs, ce sont bien sûr les ranchs, dont chacun a sa vallée,
et dont je ne cesse de vous parler sans vous les décrire vraiment. On devine,
derrière les barrières de métal rouillé (il paraît qu’elles furent peintes, un
jour, mais je n’y crois guère !) et les fils barbelés, ces prairies
immenses où courent les maigres canyons pour craqueler le sol de la végétation
sèche ; mais si vous les suivez, ces barrières, vous trouverez peut-être
leur entrée, leur porche surmonté de crâne de bêtes à cornes ayant fini en
steak ou en meatballs. C’est vers là que mènent en fait, de nos jours,
les frontage roads : on a gardé la vieille 66 pour pouvoir entrer
dans les ranchs sans prendre une sortie d’autoroute, sans avoir à partager la chaussée
avec les camionnissimes qui sillonnent de manière ininterrompue le freeway.
Ces porches de ranchs aux
trophées cornus s’ouvrent sur des pistes de terre ; celles-ci mènent à
l’entrée des ranchs proprement dits ; elles conduisent le fermier à sa maison
de bois en haut de la colline. Ces maisons de bois, ces bâtisses ont leurs
planches de peinture décrépite, n’est-ce pas charmant et pittoresque. Leur
colline est à peu près la seule du terrain ; elle permet, par la fenêtre à
guillotine (aïe !), d’embrasser d’un seul regard ses vaches et son
héritage terrien. L’éleveur de bêtes frotte alors la moustache qui pousse sous
son chapeau de western ; il tire sur la pipe qui souffle un filet de fumée
dans sa demeure, pleine d’odeurs du sud des États-Unis, d’années en 1860 et de
musique country arpégée sur une guitare un soir plein d’étoiles. Il est plein
de la mélancolie lonesome cow-boy de son époque passée qui est ici
encore présente.
Mais nous, sans nous arrêter,
nous continuons de suivre le frontage road qui nous épargne les
monstres, ces camions du freeway. Au Texas comme ailleurs aux States,
ils ont deux grands pots d’échappement sur la tête, comme deux grandes
oreilles, ou plutôt comme deux grandes cornes, et ce ne sont pas celles de
Moïse ; leurs phares sont autant d’yeux sur leur face et le radiateur leur
est un museau démesuré. Vous n’avez pas entendu leur grognement, ni senti leur
haleine de fumée. Dans un accident, ils seraient impitoyables pour la Twingo
qu’ils ne rencontreront heureusement jamais, ou même pour de nombreuses autres
voitures. Même si les voies sont bien plus larges qu’en Europe et que, du coup,
on n’est jamais déporté par les appels d’air, il est bien agréable de
contempler ces camions de loin, de côté, ou même de ne pas les contempler du
tout.
Tout le long du chemin, les
poteaux de bois tendent leurs bras pour porter le chemin de la fée
(électricité). Ils se succèdent, debout, jusqu’au fond de l’étendue immense des
ranchs et des champs, c’est-à-dire à perte de vue. Ils dessinent dans un quasi
désert (aux grains de maïs près) des parcours défiant les road-trippers qui les
aperçoivent, pensifs.
Les nuages du Texas, au-dessus,
clairs comme le bleu du ciel, pénétrés de lumière, sont non seulement fidèles
au beau temps de l’été, mais ont aussi, clin d’œil de la météo, la forme des
chapeaux que portent ici les hommes.
Au milieu des champs, qu’on pourrait
croire monotones et dénués de tout surréalisme, apparaît soudain une croix,
blanche, plus haute que la statue de la Liberté sans son socle : c’est la
fameuse croix de Groom, ce village de moins de 600 habitants. Elle fut érigée
en 1995 et comprend 19 étages, parce que « tout est possible pour ceux qui
croient. » Cependant, je n’ai pas réussi à savoir de quelle église elle
dépendait, si tant est qu’elle en dépend d’une.
De loin, de moins en moins loin,
nous apercevons une agglomération, qui semble grande, étendue, industrielle –
« the yellow rose of Texas, » comme chanta Gene Autry et comme
le nom d’Amarillo l’indique en espagnol. C’est vers elle que va la Route et
c’est la Route, sans doute, qui fit aussi sa fortune et lui permit de se
développer. Voici nos premiers lieux industriels du Texas, quoique le Nord de
l’État le soit moins, bien moins que le Sud. Quelques silos gigantesques indiquent
que c’est Amarillo qui pompe toute l’agriculture de la région. Le petit
aéroport de la ville nous impose un contournement qui retarde notre immersion
dans le béton, les briques, les fumées et les camions. Non loin, le fameux
Cadillac ranch : en 1974, Chip Lord, Hudson Marquez et Doug Michels
plantèrent 10 Cadillac des années 50 et 60 le nez dans le sol, avec
l’inclination de la pyramide de Kheops. Les voitures sont toujours là, et les
passants sont encouragés à les taguer, à les colorer, à peindre leurs graffiti
en toutes couleurs.
Nous n’avons pas pris de photos
d’Amarillo. Le centre-ville (le downtown) ne paraissait pas si fourni en
buildings que celui de Tulsa. Amarillo semble étendu, mais aussi plat. Nous
n’avons pas saisi d’autre intérêt que d’y pomper un peu d’essence pour notre
Chrysler, qui faisait pâle figure à côté des trucks (ah si, justement, une
photo : un truck monumental, avec des roues de tracteur, des suspensions
de 4X4 XXXL, et une échelle nécessaire pour monter jusqu’à la portière,
sponsorisé par les Bulls et la Budweiser : de quoi franchir les moindres
et les pas moindres fissures de terrain, et prendre deux places à la fois sur
les parkings). Notre Route traverse une ville où les usines, les ateliers, les
entreprises cachent de leur grisaille et de leur étendue les quelques quartiers
sympathiques de la ville, auxquels il est du reste difficile de croire ;
tout est un quadrillage parfait de rues ; la 66 est le seul reste
intéressant de cette agglomération caractérisée aussi par ses mauvaises odeurs
(s’il est vrai qu’elle est bien mauvaise, l’odeur des pots d’échappement, de
l’engrais et d’autres produits dont la nature est plus difficile à déterminer).
Au milieu de ce mélange de gris et de noir, un tronçon de la Route a été conservé où
nous aurions peut-être dû nous arrêter : bordé de vieux cafés et motels du
milieu du siècle passé, tout de bois colorés, aux formes de western, couverts
de vieilles enseignes électriques boutonneuses de dizaines d’ampoules
clignotantes ; cette rue traverse les années 50 pour arriver aux 60’s – on
s’y croirait en Cadillac. Mais c’est vers la petite Vega, un brin plus
mystérieuse, que nous mènent les tours de roues de Denise.
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