De grandes
portions de la route 66 en Oklahoma sont des plaques de béton accolées les unes
aux autres qui font résonner les pneus à chaque passage (boum, boum,
etc.). Cette voirie à la fois systématique et archaïque court le long du
moderne freeway qui remplace la vieille route pour tous, sauf pour les
aventuriers que nous fûmes : on appelle frontage road ces moments où la
Route 66 jouxte l’autoroute en ne la traversant que de temps à autre. Et, comme
dans tous les États des États-Unis qui sont à la fois vides et immenses, ce frontage
road vous mène tout droit, sur des miles et des miles : c’est à bénir
le pilotage automatique, bien inutile dans l’Europe des virages. Heureusement,
les inégalités d’altitude suscitées par la variation des quelques collines
fournissent, non pas une attraction digne d’un grand huit, mais du moins
quelque variété au fond d’un long ennui.
Cependant,
dans ces paysages soporifiques de champs et de plaines saupoudrées d’activités
industrielles : une peur, soudaine, qui nous arrache violemment à notre
marasme – le gentil petit voyant du réservoir s’allume orange. Oh, ce n’est pas
grave, après tout, nous sommes au milieu de rien, personne pour venir nous
remorquer, aucune station-service à de nombreux miles à la ronde, aucune
voiture qui fréquente la même route que nous, l’impossibilité de rentrer à
pieds et l’absence totale de nourriture dans nos réserves –sinon quelques Mc ‘n
Cheese sans eau, un fond de sac de cacahuètes et un reste de céréales corn
flakes. Apparemment, l’ennui, dans ces étendues immenses, avait endormi jusqu’à
notre vigilance, et cette drôle crainte de panne sèche était venue jusque dans
la solitude de notre trio nous taquiner.
On avance,
sagement, tout doucement pour économiser au maximum le gas (alias la
gazoline), à 3,70 dollars le gallon mais dans ces moments-là tellement plus
précieux qu’un simple carburant, et on finit par arriver, tout est bien qui
finit bien, dans le lieu, la station, l’oasis de pétrole où notre chameau peut
s’abreuver, remplir sa bosse de l’eau irisée qui lui fait en principe tirer
tant de miles et de kilomètres de son moteur.
Calumet,
Clinton, et nous avançons, nous le savons, vers le village de la frontière, qui
nous libèrera, nous, d’un pays assez stérile, et vous, de paragraphes
inintéressants sur un État ennuyeux que nous avons traversé au plus vite, dans
la mesure où ses dimensions le permettaient.
D’ailleurs,
la fin de l’Oklahoma n’a plus grand chose à voir avec l’Oklahoma, et l’Oklahoma
commence à être beau lorsqu’il finit de ressembler à l’Oklahoma - c’est-à-dire
quand on arrive au voisinage du Texas. La terre rougit, la végétation est
celle, peu à peu, de climats plus secs, moins abondante ; les bras des
poteaux électriques (du télégraphe ?) tendent leurs longs fils au-dessus
de tout cela.
On le sent, on est sorti du vert
Midwest. On a échappé, aussi, à sa platitude. Les premiers ranchs dressent leur
porche de bois à l’entrée d’un champ dont on ne voit pas l’autre extrémité. Sur
une camionnette des années 50 ou 60 (je laisse aux connaisseurs le soin de me
contredire), carrosserie tout arrondie, vert amande et blanc crème avec un
coffre ouvert garni de planches, on a peint : White Dog – « come
for the view, stay for the food ! »
Cette zone,
pleine du charme du pré-Texas qu’elle est, appelons-la Mexicoma, comme
dans la chanson du même titre de Tim McGraw qui en rend très bien l’esprit
(encore ce talent actuel des Okies pour la musique country).
Nos photos
vous montreront des insectes disproportionnés, des camions colossaux et des
horizons sans fin, signes annonciateurs du Texas, terre d’épopée et de grands
mythes, une des âmes des États-Unis d’Amérique dans leur sens le plus profond
et le plus authentique des termes, dont la conquête allait commencer, pour
nous, dans la petitesse de la demi-bourgade oubliée, presque abandonnée, de
Texola.
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