Chers amis, chers lecteurs,
Comme vous l'avez peut-être vu, je ne suis plus très actif ces derniers temps : je vous laisse au milieu de la route, au Texas, dans la tempête et le désespoir, avec des goûts d'apocalypse, des stupeurs et des tremblements. Vous devez penser que c'est bien cruel de ma part. Ca l'est, en quelque sorte, mais je ne vous oublie pas : ça n'est que partie remise. En effet, je suis en train de finir la rédaction de mon mémoire sur les couleurs dans la philosophie épicurienne, ce qui prend quelque temps. Une fois cela, fini, c'est-à-dire aux environs de septembre, nous pourrons reprendre la route, et nous rendre ensemble jusqu'à Los Angeles, en Californie, et au-delà peut-être si vous le voulez bien (mais vous le valez bien). Je vous remercie d'avoir autant consulté les quelques pages de ce blog, espère que vous en avez tiré du plaisir, et vous dis à bientôt, pour la suite de nos aventures.
Cheers,
Victorien
Saturday, July 19, 2014
Wednesday, June 11, 2014
Texas (8) : Apocalypse now
Oui, quelque chose nous attendait, après Vega. Oh, bien plus que quelque chose.
Voilà comment seront les derniers jours de cette terre.
Noé se souvient de jours semblables il y a bien longtemps.
En ce temps-là, il allait se réfugier sous les stations-service.
Il voyait les gouttes, les plocs, les grêlons liquides faire éclater le sol devenu eau.
Il tremblait devant l'arrivée de nuages après les nuages et le voilement du ciel,
dont il avait oublié la couleur.
Le Midpoint café : milieu géométrique de la route 66 et un jour peut-être de ce blog.
Noé est parti se construire une arche. Nous, pendant ce temps, nous attendons d'être noyés dans un déluge de flots infinis, à l'abri (mais pour combien de temps?) d'une station-service abandonnée.
Le ciel s'effondre.
La nuit rattrape le jour dans le ciel.
Pas d'espoir.
Tout s'effondre, sauf notre toit, dont vous voyez le dessus en bas de l'image.
Terre désolée de la fin du monde.
Mais tout de même, ambiance nightclub.
Zzzzz...
Le monde s'est endormi.
Friday, June 6, 2014
Texas (66-25) : Apocalypse now
Nous ne nous sommes pas trompés.
La pluie, battante, est encore plus battante que tout à l’heure, quand nous
entrions dans le saloon. Nous reprenons le chemin tracé par la route 66,
comme quelques panneaux nous l’indiquent, et nous commençons à craindre un peu
pour le soft top, le toit de toile de notre voiture décapotable. Qu’à
cela ne tienne ! Il est bien solide ! Nous avons survécu, jusque
là ! Le pneu crevé en Illinois, nous en avons bien ri ! La batterie
plate de Carthage, de la rigolade ! Le risque de panne au fin fond de
l’Oklahoma, magistralement évité ! Dans la pluie du Texas, pourquoi ne pas
finalement continuer la Route avec un air confiant de Rien ne peut nous
arriver.
Bientôt, malgré l’assaut des
gouttes, la violence de l’averse, le torrent des giboulées et la fulgurance de
l’eau tombante, nous atteignons le point clé, pour notre itinéraire, du Midpoint
Café. Comme son nom l’indique, ce café se trouve au milieu de la route 66.
Peut-être vous dites-vous, assommés par la lecture de déjà tant de pages
écrites sur notre périple américain : « Comment ? seulement le
milieu ? il reste une seconde moitié ? » Nous étions bien
impressionnés, nous aussi, de la grandeur de la Route, de la folie du trajet
dans lequel nous nous étions lancés. A trois, avec seulement un conducteur et
une voiture achetée à Chicago, certes pas si mal, mais un peu moins performante
qu’une Lamborghini ou qu’une Mercedes, et de temps à autre un détail ou deux à
réparer, avec un délai déterminé par le décollage de nos avions pour un retour
en France sans droit à l’erreur ni autre moyen de rejoindre Los Angeles, et
capables de nous entretuer dans la solitude et la folie du désert… et en même
temps, bien que nous eussions déjà tant vu de lieux et de personnes, de climats
et de nourritures, il restait autant de découvertes à faire de l’autre côté, de
clichés auxquels rabattre le clapet, de rêves à réaliser, de fantasmes à
actualiser, et puis, surtout, la radieuse Californie, l’Eldorado, la Terre
Promise du road-tripper, le paradis du surf et, grâce aux sourires et à
l’été d’un an, la ville du bonheur.
Le milieu, donc : déjà le
milieu, seulement le milieu. Pour ajouter une remarque moins inutile à cette
fastidieuse philosophie géométrique, on peut dire que les paysages de la route
66 se divisent en deux ensembles : jusqu’au Texas, c’est le vert qui
domine, ce ne sont que forêts, champs, prairies, collines et vallons ;
après Midpoint, voici du jaune, des déserts, des soleils, des plaines
arides, des terres rouges et des végétations sèches.
La sécheresse : voilà celle
que nous n’avions pas. Car en attendant que le vert se change doucement en
jaune, c’est le noir, qui s’appropriait le ciel. La nuit tombait prématurément
avec les nuages et la pluie qui se faisait de plus en plus terrible. Allez, un
moment de doute : nous nous arrêtons auprès d’un motel, et nous
interrogeons quelqu’un qui courait s’abriter : « Pensez-vous que ce
ne soit qu’une averse ridicule comme on en trouve à Montélimar ? Pensez-vous
qu’une tornade s’apprête à nous emmener dans le ciel noir ? Croyez-vous
que ce soit la fin du monde, et, si oui, pensez-vous que nous puissions nous
abriter quelque temps sous l’auvent de ce motel ? –Vous feriez mieux
de ranger votre voiture, car la grêle va tomber ; et à ce moment-là, je ne
donnerai pas cher de votre toit décapotable ; mais quittez ce motel, c’est
une propriété Privée… »
Forts de ces conseils, nous
rebroussons quelque peu chemin, le temps de retrouver l’une des innombrables
stations-service abandonnées de la route 66, dont l’auvent pût nous abriter
gratuitement : à l’endroit précis où les voyageurs avaient coutume de
prendre l’essence pour repartir, nous prenions un abri pour y rester. Le ciel
était toujours aussi nuit, le vent toujours aussi tempête, la pluie toujours et
plus que jamais trombe.
En fait, ce fut une apocalypse
texane : une apocalypse comme le Texas en produit, de temps en temps,
tantôt tuant les gens, tantôt rasant des villes à coups de courants et de
rafales, toujours causant la peur, toujours rappelant à l’homme sa petitesse.
C’est là le lot de cet État malheureusement si riche en catastrophes
naturelles, surtout pour l’Est et le Nord du pays que frappe assez volontiers
le tonnerre : le Texas est l’État qui reçoit le plus de tornades dans les
États-Unis, avec une moyenne de 139 par an – surtout en avril, mai, juin,
mauvais moments pour s’y rendre en avion. L’ouragan de Galveston reste dans les
annales comme la catastrophe naturelle la plus mortelle de toute l’histoire des
États-Unis depuis qu’il a, en 1900, dévasté sa ville en arrachant quelque huit
mille vies humaines à la surface de la terre ; on retient aussi les quatre
cents morts de l’ouragan d’Indianola en 1875, et celui qui détruisit cette
ville en 1886. Plus récents, Rita en 2005 ou Ike en 2008 restent des souvenirs
funestes, sans compter les orages tropicaux, les Allison, les Claudette… Alors,
ce jour-là de juillet 2012, peut-être allait-ce être là notre
apocalypse, non le milieu mais la fin de la Route, un Enfer texan fermant le
paradis du Missouri, la fin.
Les rayons du soleil, depuis
longtemps, avaient été étouffés par le tumulte des nuages, qui étaient plus,
bien plus et bien pires que des nuages. La dernière et seule lumière était
celle, intermittente, des éclairs : ils fondaient sur les champs avec le
cri grave et rauque du ciel quand il se brise dans les grandes catastrophes. Il
n’était pas jusqu’aux sourds qui n’eussent entendu son grondement déchirant et
sinistre, quand la chute brutale des foudres dans les instants qu’on croyait
des répits fendait l’ombre nocturne des cumulo-, des apocalypto-nimbus
monstrueux ; en laissant mourir en pluies (pour faire place à d’autres
étoffes gazeuses d’obscurité) le gigantesque nébuleux coton noir où il se
suffoquait de froid, le ciel pleurait au sens propre toutes les glaciales
larmes de son corps en décomposition maladive : ce furent des cascades
depuis les rochers des nues, des fuites gigantesques dans les réservoirs
célestes, l’eau gazeuse qui s’effondrait brusquement en eau liquide sur le sol,
au point de nous faire penser que l’étymologie du mot « torrentiel »
est bel et bien « torrent-ciel. »
Voilà le concert, ou plutôt
l’opéra wagnérien des agglomérats de nuages noirs, des notes graves comme n’en
pourrait exprimer la plus grave note d’aucune gamme humaine, des arpèges
lancinants sinistres de dysharmonies cruelles, des gémissements de barytons
croisés d’orgues et de désaccordées contrebasses. Un nouvel Ancien Testament
s’écrivait, et sur la face du Texas Yahvé faisait éclater sa plus noire colère.
En voyant les routes devenues des
rivières (où ne s’aventuraient même plus les camions pourtant monstrueux, qui
préféraient attendre d’improbables accalmies sur les bords de la chaussée), le
dos décapotable de notre voiture frémissait du souvenir des massages
inopportuns balancés par cette pluie battante, battante, battante, battante
dont elle séchait à l’abri. Dans cette ambiance de boîte de nuit, sous les
flashs des éclairs et les baffles du tonnerre, au lieu de danser la danse de la
pluie, nous discutions ; nous refaisions le monde qui se défaisait sous
nos yeux. Nous allions jusqu’à parler des souvenirs de notre vie française,
ceux d’avant la fin du monde. Et puis, comment toutes les maisons de bois, les
faibles granges que nous avions croisées dans les plaines du Texas
faisaient-elles pour tenir sous les tornades qui hantent leur pays ? Où
étaient les arcs-en-ciel hawaiiens ? les ciels bleus de Californie ?
ou même les chaleurs désertiques de Las Vegas, qui ne sont pas rien ? …
La discussion finit en délire et
en oubli. Je me souviens seulement que la tempête dura longtemps et que nous
finîmes par repartir, dans la nuit, quand la pluie fut devenue un peu plus
modérée. Le Nouveau Mexique n’était pas si loin, et nous dormîmes dans les
premiers mètres de ce Land of Enchantment, dans notre premier Motel 6,
comme ayant atteint un nouveau monde.
Wednesday, June 4, 2014
Texas (7) : Saloon
Un saloon, un vrai, et dans son vrai pays
Façade de bois, roue de diligence, petit auvent.
Son intérieur boisé et animal.
Une bonne vieille porte battante mène dans la partie steakhouse.
Oh! Sapristi ! Mais, nous venons de la croiser dans Vega !
Alors ça, c'est l'entrée des toilettes.
Le piano, bien sûr.
Le crachoir, évidemment.
Voilà, coyote, ce qu'est un saloon au Texas.
C'est pas Hollywood, ici.
Friday, May 30, 2014
Texas (66-24) : Las Vegas sans Las et sans S
Après Bushland, après Wildorado
(promis je n’invente rien), Vega, la small Vega fait recommencer la
petitesse au pays de la grandeur, de l’immense, du XXL made in USA. Le
ciel qui fut si bleu se mouille un peu ; des gouttes d’eau tombent des
nuages qui paraissaient si sages, si pacifiques ; les gouttes grossissent
et se font plus nombreuses : elles qui tombaient par quelques-unes, c’est
par bataillons, qu’elles se mettent à attaquer ; grosses comme des
fourmis, leurs flic flac sont des FLIC FLAC. Mais après tout, ce n’est qu’une
grosse averse, rien de bien méchant, rien en tout cas à quoi il ne suffise,
puisqu’on est au Texas, de quelques instants dans un authentique saloon
pour faire passer le temps, le mauvais temps qui tombe du ciel.
Une fois la voiture garée où l’on
plaçait autrefois les chevaux, nous poussons la porte de bois de Boot Hill
– cet établissement honnête devant lequel traînent encore un tonneau éventré et
une roue de diligence du siècle avant-dernier. Dans la salle, de petites tables
rondes où des gens jouent aux cartes, ou boivent un verre en discutant du
mauvais temps – et, face à nous, huit cow-boys gros en chapeau et en barbe
installés au comptoir se retournent en même temps sans un mot, pour voir quels
trois blancs-becs viennent se joindre à leur boisson. Nous avons l’impression
que nous venons d’entrer dans un film, mais tout n’est pas en noir et blanc.
Tout est en bois, y compris le piano et le grincement des portes battantes
(oui, celles qui reviennent sur vous si vous allez trop lentement, coyotes). La
tapisserie rouge couvre les portions de mur que le miroir du comptoir ou les
planches nues mal dégrossies ne recouvrent pas. Quelques têtes de cerfs ou de
taureaux, empaillées, à côté des lanternes qui pendent à un morceau de métal.
Je ne serais qu’à moitié étonné si un jour j’apprenais que Chuck Norris a ici
ses habitudes ; nous, timidement, nous nous installons à un coin du
comptoir, entre le piano et le crachoir. Sous la grande et élégante glace
luky-lukéenne de derrière ce comptoir arrive alors une jeune serveuse qui,
évidemment, est jolie, et fait tout mince à côté des habitués du lieu.
Dans ce monde de bières, les
blancs-becs commandent pourtant une lemonade. Plaidoyer pour le
chauffeur, he doesn’t drink and drive; mais ces trois jeunes font tache,
parmi les Végasiens. Les conversations qui se tiennent au comptoir posent un
peu le ton du lieu : ce sont des rires de voix rauques (celles qui passent
à travers les poils d’une barbe mal taillée ou d’une moustache épaisse), de
minces fumées de cigarettes encore autorisées dans les lieux publics (eh, c’est
un saloon tout de même) et un accent à couper au revolver, un accent
texan très marqué à reflets rustiques, c’est-à-dire de mots à demi avalés. Les
moustaches prennent des formes plus variées que dans les États où nous en
avions croisé : alors qu’au Midwest, c’était plutôt dans la barbe que
s’exprimait la personnalité, elle se comprend ici beaucoup dans la moustache.
Vous avez certes cette grosse moustache broussailleuse, pour le Texas des
ranchs, mais n’oubliez pas non plus la moustache aux bouts plus fins, recourbés,
pour les Texans des villes. Car à Vega, l’élégance se dit aussi dans le langage
des poils.
Quand la pluie s’est calmée, nous
descendons dans downtown Vega. Sur la vieille place du village où tout
n’est que bois et couleurs, règne un silence de western en train de se faire.
Les petites façades sont alignées, et reliées par leur auvent qui dessine une
promenade ; sous cette promenade s’abritent quelques bancs et fauteuils à
bascule, vides. Tiens, un tracteur passe en remorquant une machine agricole
presque aussi grosse que lui. Les silos immenses dépassent du paysage comme des
immeubles : ce sont les tours de la campagnes. Un autre dépasse :
tout jaune, en forme de bonbonne, c’est le réservoir d’eau de la ville ;
comme celui d’Atlanta dans l’Illinois, il ressemble à un ballon de baudruche
gonflé, mais cette fois sans sourire dessiné sur le ventre. Un vieil arrêt de
bus (en bois !), une vieille station-service ; des granges, un
quincaillier ; un motel, une maison de trappeur ; l’étoile du Texas
en métal rouillé, la table des Dix Commandements au milieu du square :
voilà Vega, pleine d’Amérique ancienne et de Texas très fidèle à soi-même.
Mais c’est alors que le ciel se
remet à pleuvoir.
Suffit-il, pour cela, de
s’abriter sous le kiosque au milieu de l’herbe ? Peut-on se contenter d’attendre quelques minutes que l’intempérie
soit dissoute ? Un arc-en-ciel s’apprête-t-il à chasser les nuages ?
Ces nuages sont de plus en plus
gros, et proviennent d’un fond gris, d’un horizon gris sombre : allons plutôt
à la voiture.
Wednesday, May 28, 2014
Texas (6) : Vega
Noooooooooooon, pas Las Vegas, VEGA. Las Vegas ce sera plus loin sur la route.
Le square central, devant le tribunal.
Bâtiments qui donnent sur la place principale.
Autre côté de la place centrale,
avec à l'arrière-plan le réservoir en forme d'épi de maïs.
Moyens de transports à Vega.
Vous voyez, que ce n'est pas Las Vegas.
Les dix commandements gravés sur la place du village. Normal.
Pour mémoire, je zoome un peu.
Silo derrière bâtisse de trappeur.
Les panneaux qui font croire que la 66 est encore touristique.
Ah, le réservoir maïs, le voilà.
Vega sous ses nuages.
L'agriculture tremble devant les intempéries du Texas,
si sévères avec elle comme avec tout le monde.
Agriculture.
Vieille station-service.
Cour.
Peut-être que si vous attendez un siècle, le bus finira par arriver.
Le ciel fronce peu à peu ses nuages : va-t-il se passer quelque chose ?
L'étoile du Texas (non, pas du Vietnam).
Une de ces cours de quincaillers pleines de bric et de broc et de brac.
Le Vega motel. Youpi. Grand confort.
Vega vous dit au revoir par une grange.
Friday, May 23, 2014
Texas (66-23) : Amarillo, quand tu nous tiens
Plaines, ranchs, canyons : voilà ce qui suit Mc
Lean en direction d’Amarillo, prochaine grande ville sur le chemin. Derrière la
vitre, champs de maïs, qui donneraient du pop corn pour tous les cinémas
de Los Angeles (je pèse mes mots) ; machines agricoles immenses, avec des
bras de métal assez grands pour arroser la terre entière ; champs
d’éoliennes, dont les pales dansent leur danse ronde et électrique pour faire
oublier que le Texas est l’État des États-Unis qui émet le plus de gaz à effets
de serre (oh, 680 milliards de kilos par an) et, s’il était un pays
indépendant, le septième au monde ; ceci est une conséquence des usines au
charbon du sud de l’État, et de ses industries manufacturières, et de ses
camions énormes, et du bas prix de l’essence, bouh les méchants Américains.
Quand ce ne sont pas ces champs
d’électricité ou de maïs, ce sont bien sûr les ranchs, dont chacun a sa vallée,
et dont je ne cesse de vous parler sans vous les décrire vraiment. On devine,
derrière les barrières de métal rouillé (il paraît qu’elles furent peintes, un
jour, mais je n’y crois guère !) et les fils barbelés, ces prairies
immenses où courent les maigres canyons pour craqueler le sol de la végétation
sèche ; mais si vous les suivez, ces barrières, vous trouverez peut-être
leur entrée, leur porche surmonté de crâne de bêtes à cornes ayant fini en
steak ou en meatballs. C’est vers là que mènent en fait, de nos jours,
les frontage roads : on a gardé la vieille 66 pour pouvoir entrer
dans les ranchs sans prendre une sortie d’autoroute, sans avoir à partager la chaussée
avec les camionnissimes qui sillonnent de manière ininterrompue le freeway.
Ces porches de ranchs aux
trophées cornus s’ouvrent sur des pistes de terre ; celles-ci mènent à
l’entrée des ranchs proprement dits ; elles conduisent le fermier à sa maison
de bois en haut de la colline. Ces maisons de bois, ces bâtisses ont leurs
planches de peinture décrépite, n’est-ce pas charmant et pittoresque. Leur
colline est à peu près la seule du terrain ; elle permet, par la fenêtre à
guillotine (aïe !), d’embrasser d’un seul regard ses vaches et son
héritage terrien. L’éleveur de bêtes frotte alors la moustache qui pousse sous
son chapeau de western ; il tire sur la pipe qui souffle un filet de fumée
dans sa demeure, pleine d’odeurs du sud des États-Unis, d’années en 1860 et de
musique country arpégée sur une guitare un soir plein d’étoiles. Il est plein
de la mélancolie lonesome cow-boy de son époque passée qui est ici
encore présente.
Mais nous, sans nous arrêter,
nous continuons de suivre le frontage road qui nous épargne les
monstres, ces camions du freeway. Au Texas comme ailleurs aux States,
ils ont deux grands pots d’échappement sur la tête, comme deux grandes
oreilles, ou plutôt comme deux grandes cornes, et ce ne sont pas celles de
Moïse ; leurs phares sont autant d’yeux sur leur face et le radiateur leur
est un museau démesuré. Vous n’avez pas entendu leur grognement, ni senti leur
haleine de fumée. Dans un accident, ils seraient impitoyables pour la Twingo
qu’ils ne rencontreront heureusement jamais, ou même pour de nombreuses autres
voitures. Même si les voies sont bien plus larges qu’en Europe et que, du coup,
on n’est jamais déporté par les appels d’air, il est bien agréable de
contempler ces camions de loin, de côté, ou même de ne pas les contempler du
tout.
Tout le long du chemin, les
poteaux de bois tendent leurs bras pour porter le chemin de la fée
(électricité). Ils se succèdent, debout, jusqu’au fond de l’étendue immense des
ranchs et des champs, c’est-à-dire à perte de vue. Ils dessinent dans un quasi
désert (aux grains de maïs près) des parcours défiant les road-trippers qui les
aperçoivent, pensifs.
Les nuages du Texas, au-dessus,
clairs comme le bleu du ciel, pénétrés de lumière, sont non seulement fidèles
au beau temps de l’été, mais ont aussi, clin d’œil de la météo, la forme des
chapeaux que portent ici les hommes.
Au milieu des champs, qu’on pourrait
croire monotones et dénués de tout surréalisme, apparaît soudain une croix,
blanche, plus haute que la statue de la Liberté sans son socle : c’est la
fameuse croix de Groom, ce village de moins de 600 habitants. Elle fut érigée
en 1995 et comprend 19 étages, parce que « tout est possible pour ceux qui
croient. » Cependant, je n’ai pas réussi à savoir de quelle église elle
dépendait, si tant est qu’elle en dépend d’une.
De loin, de moins en moins loin,
nous apercevons une agglomération, qui semble grande, étendue, industrielle –
« the yellow rose of Texas, » comme chanta Gene Autry et comme
le nom d’Amarillo l’indique en espagnol. C’est vers elle que va la Route et
c’est la Route, sans doute, qui fit aussi sa fortune et lui permit de se
développer. Voici nos premiers lieux industriels du Texas, quoique le Nord de
l’État le soit moins, bien moins que le Sud. Quelques silos gigantesques indiquent
que c’est Amarillo qui pompe toute l’agriculture de la région. Le petit
aéroport de la ville nous impose un contournement qui retarde notre immersion
dans le béton, les briques, les fumées et les camions. Non loin, le fameux
Cadillac ranch : en 1974, Chip Lord, Hudson Marquez et Doug Michels
plantèrent 10 Cadillac des années 50 et 60 le nez dans le sol, avec
l’inclination de la pyramide de Kheops. Les voitures sont toujours là, et les
passants sont encouragés à les taguer, à les colorer, à peindre leurs graffiti
en toutes couleurs.
Nous n’avons pas pris de photos
d’Amarillo. Le centre-ville (le downtown) ne paraissait pas si fourni en
buildings que celui de Tulsa. Amarillo semble étendu, mais aussi plat. Nous
n’avons pas saisi d’autre intérêt que d’y pomper un peu d’essence pour notre
Chrysler, qui faisait pâle figure à côté des trucks (ah si, justement, une
photo : un truck monumental, avec des roues de tracteur, des suspensions
de 4X4 XXXL, et une échelle nécessaire pour monter jusqu’à la portière,
sponsorisé par les Bulls et la Budweiser : de quoi franchir les moindres
et les pas moindres fissures de terrain, et prendre deux places à la fois sur
les parkings). Notre Route traverse une ville où les usines, les ateliers, les
entreprises cachent de leur grisaille et de leur étendue les quelques quartiers
sympathiques de la ville, auxquels il est du reste difficile de croire ;
tout est un quadrillage parfait de rues ; la 66 est le seul reste
intéressant de cette agglomération caractérisée aussi par ses mauvaises odeurs
(s’il est vrai qu’elle est bien mauvaise, l’odeur des pots d’échappement, de
l’engrais et d’autres produits dont la nature est plus difficile à déterminer).
Au milieu de ce mélange de gris et de noir, un tronçon de la Route a été conservé où
nous aurions peut-être dû nous arrêter : bordé de vieux cafés et motels du
milieu du siècle passé, tout de bois colorés, aux formes de western, couverts
de vieilles enseignes électriques boutonneuses de dizaines d’ampoules
clignotantes ; cette rue traverse les années 50 pour arriver aux 60’s – on
s’y croirait en Cadillac. Mais c’est vers la petite Vega, un brin plus
mystérieuse, que nous mènent les tours de roues de Denise.
Wednesday, May 21, 2014
Texas (5) : Plaines, ranchs, canyons
Paysages du Texas du Nord.
Sommeil des nuages hors du ciel. Quand reviendront-ils, ces paresseux ?
Le Texas est beaucoup plus vert qu'on ne le croit; c'est parce qu'on l'associe trop souvent aux paysages de cow-boys pris en Californie ou en Arizona.
Le frontage road s'enfonce dans le creux des demi-vallons.
Ces silos énormes contiennent des plaines entières de blé et de maïs.
Un building de maïs.
La fameuse croix au milieu des champs.
Plus haute que la statue de la liberté ! (sans le socle)
Voilà le genre de véhicules que conduisent les Texans.
Oh, le ciel se couvre.
Vers quelles intempéries la Route nous mène-t-elle ?...
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