Sun of a beach !
C'est comme ça qu'on dit en Californie ? Dès le passage du
pont, le pays du bonheur, de la musique et du beau temps a les bras
grands ouverts. Green Day s'éclate dans les haut-parleurs avec
Poprocks and coke,
icônes de la civilisation du Pacifique américain. Ici,
c'est encore le désert, bien sûr, mais il y a déjà quelque chose
dans l'air, à moins que ce ne soit l'effet produit par ce nom
magique sur le panneau. D'ailleurs, la Californie est magique en ceci
que son désert du Mojave est parfois authentiquement habité. Au
Missouri, nous trouvions des maisons cachées derrière les vallons,
les collines ; au Nouveau Mexique ou en Arizona, quelques
villages d'Indiens, ou un trading post
appuyé contre un rocher immense. En Californie, on trouve carrément
des villes, et Needles, avec ses tout de même près de 5000 habitants, est l'une d'elles.
Les
gens semblent mener une vie paisible, et presque normale dans ce pays
du désert habité. Comme un certain nombre de villes et villages
depuis le Nouveau Mexique, Needles est née du chemin de fer. A ce
point stratégique de passage entre deux États, la compagnie du
Santa Fe railroad
avait commencé par construire un hôtel où ses employés pourraient
dormir. Comme c'était souvent le cas dans ces bonnes vieilles années
1890 (vous vous souvenez ? ), la ville grandit assez vite, surtout
une fois que les quelques saloons
et blanchisseries chinoises étaient sorties de terre. La ville garde
quelques souvenirs de ce temps glorieux où le chemin de fer était
l'avenir, où la voiture était encore inconnue et où tous les road
trips se faisaient à pied, en
diligence ou derrière une locomotive à charbon : ce sont
quelques fresques sur les murs des stations-services ou des cafés,
avec un Snoopy mélancolique sous un chapeau de cow-boy.
La
plupart des foyers de peuplement du désert californien n'ont
pourtant pas l'ampleur de Needles, et ne sont souvent qu'un
regroupement de maisons de fortune, c'est-à-dire bâties en taule,
en bois et en métal, comme un bidonville du désert d'où la misère,
mais non la bohème ! est pourtant absente. Celles-ci se
tiennent la main autour d'un puits et de son oasis, car on en trouve
aussi, ou, mieux, sur les pourtours d'une station-service, puits
d'une autre nature, non moins nécessaire à la survie dans le
désert. L'impression n'est pourtant pas celle de l'isolement et du
passé, mais d'une éternelle jeunesse et d'un désert habité. C'est
comme si la fontaine de jouvence de Los Angeles et de San Francisco,
où l'on met encore des pulls capuche à 40 ans en reprenant ses
études, coulait jusque ici, ou communiquait avec les nappes
phréatiques où s'alimentent les puits.
Malgré
tout, le climat n'est pas celui des côtes – le soleil n'est pas
celui de la plage à Santa Monica, mais plutôt celui du Nevada et de
Las Vegas, qui vomit son argent et son stupre dans les lumières
artificielles à 180 kilomètres de là. La Vallée de la Mort, dont
le nom est tout un programme et qui n'est pas loin d'ici non plus,
offre l'occasion de bronzages efficaces au milieu de plaines de sel
asséchées et de sables multicolores révélés ici et là par la
géologie. Ce désert parmi les plus chauds du monde, on peut s'en
douter, était redouté des colons à la conquête du Grand Ouest en
chariot, ces migrants en quête de terre promise au bord de l'océan,
de vertes plaines au bord des rivières et des champs d'orangers.
Tels sont les souvenirs d'histoire qui nous reviennent à mesure que
nous écoutons Stevie Wonder sur les haut-parleurs du lecteur
MP3 : « There's a place in the sun... where there's
hope for everyone... » Notre
voyage n'est-il pas un écho, certes un peu plus confortable, du
leur ?
Le
désert californien nous offre encore des maisons, des hameaux à
moitié abandonnés, des boîtes aux lettres plantées dans le sable,
des spectacles silencieux mais pas muets. Voici des villages
d'orpailleurs, où le désir de trouver l'or au fond des rivières
incite les hommes à faire tourner ses soifs, ses rêves et quelques
illusions plus ou moins maladives au fond d'un tamis. Le soleil
semble jeter des étincelles dans ces rivières dont il n'a pas
encore asséché le cours, à moins que je ne me souvienne en fait
que des scintillements jetés par les yeux des chercheurs. Faut-il
prévenir ces hommes que les filons d'Oatman sont maintenant
épuisés ? Peut-être en puisent-ils les restes, disséminés
entre les pierres et les grains de sable. Le désert californien a ses côtés surréalistes.
Nous ne sommes pas les
seuls à nous amuser des curiosités exposées dans les vitrines de
ce désert. Le train, ce long serpent de conteneurs jaunes, rouges,
bleus, y passe en suivant la 66, en la croisant parfois. Nous avons
beau pousser sur le champignon, il arrive qu'il nous devance pour
l'arrivée aux passages à niveau. Dans ces moments de défaite, il
faut un peu de patience, et comme dans les nuits où l'on attend le
train du sommeil, nous comptons les wagons pour remplacer les
moutons. Au bout de 100 , la barrière se relève et nous
pouvons passer. Nous reprenons une part de désert pour le goûter.
Cette nouvelle part du
gâteau californien est plus difficile à digérer puisqu'elle est
volcanique. Ce ne sont pas des coulis de framboise, des fontaines de
caramel sur les îles flottantes ou des rivières de crème anglaise
sur les flancs d'un fondant au chocolat, mais un autre type de
volcan, autrement plus chaud. L'Amboy crater a l'avantage
d'être accessible à pied gratuitement -contrairement à celui de la
météorite d'Arizona-, mais la promenade aurait été totalement
déconseillée il y a quelques années, à en juger par tous les
paquets de lave répandus aux alentours, pépites sombres sur la
plaine déjà aride.
Les derniers crachats de
cette bouche noire dans le paysage vert-de-gris ont 500 ans, mais il
me semble avoir entendu quelque part que la crainte d'une nouvelle
éruption fut à l'origine de quelques déménagements par
précaution, créant ainsi de nouveaux villages fantômes, de
nouvelles maisons hantées, de nouvelles photos à prendre dans les
road trips de juillet entre amis.
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