Les lumières des
après-midis mourantes sont les meilleures pour conduire ; c’est
là que les piliers des canyons s’y dessinent le mieux avec toutes
leurs couleurs. Ces derniers semblent se promener dans les plaines
immenses, cherchant les futurs westerns, non des histoires de
cow-boys et d'Indiens, mais d'exodes, de chariots où dorment les
familles, d'histoires d'amour sous la paille des roulottes, d'une
quête du véritable Ouest, d'une terre promise où tout le monde
pourra trouver sa place au soleil.
Ces plaines semblent
vivre sans véritable saison, dans un mélange de printemps et
d’automne, de végétation sèche et de nouvelles pousses que les
pluies sortent de temps à autre de terre. Les herbes des prairies,
de plus en plus jaunies, ânonnent des accents de Californie. Les
quelques collines, de loin, ressemblent à des dunes, si vrai qu'on
se croirait dans un désert. Les bâtiments de bois délabré, les
petites maisons à côté d'un puits et d'un embranchement de la
route, parfois abandonnés, toujours perdus au centre de ces paysages
qui n'en ont pas, lancent un peu de vie au milieu du vide, ne
serait-ce que sous forme de traces. Quand les années 50
appartiendront à une autre période de notre histoire mondiale, ces
lieux intéresseront les archéologues, à moins que ce ne soit déjà
le cas.
D'autres villages, où
nous croisons de nouveau nos cars allemands, fleurissent d'un
artificiel tourisme de la route 66, où le vrai se mêle au faux. Il
y a plus d'êtres humains dans ces cars que nous n'en avons rencontré en
voiture sur toute la route 66, si l'on ne compte pas les motards,
pour qui la 66 reste un péché mignon. La bourgade de Seligman,
portant le même nom que le deuxième rabbin dans Rabbi Jacob, fait
partie de ces villages de gift shops
et nous fait penser que le lieu le plus charmant, ce ne sont pas ces
attractions pleines de clins d’œil à l'histoire, mais Nulle
part, que nous traversions avant
d'entrer dans Seligman et que nous n'allions pas tarder à retrouver, après.
C'est
donc nulle part que nous retournons, suivant la route des plaines.
L'herbe a séché, la
végétation elle-même est de plus en plus aride quoique le Golden
state n'ait pas montré le bout de son nez doré. Ce quatrième
Arizona dont je parlais plus haut, qui est en quelque sorte
l'antichambre de la Californie, n'est toutefois pas l'Arizona de
terre rouge qui se frottait au Nouveau Mexique, car ici l'herbe
s'introduit dans les fissures du bitume ou du béton, selon la
matière du tronçon de route. Les poteaux, que nous accompagnons, ne
sont toujours pas fatigués de porter les fils électriques et
regardent au loin la barbe liquide des nuages traîner encore dans le
paysage.
Vous
avez beau bien viser, la mitraille de votre appareil photos n’atteint
pas le paysage, ni dans son immensité, ni dans sa couleur. Pourtant,
voici quelques clichés que j'aurais voulu capter, si mes mains
n'avaient pas eu à masser le volant plein d'ennui dans cette
linéarité ininterrompue : une vieille gare dont il ne reste
plus que quelques planches non loin des rails ; le train que
nous croisons de temps en temps, et dont le trajet n'est jamais
éloigné de notre bonne vieille 66 ; stations-service et motels
abandonnés de tous, sauf des herbes (folles ! folles!).
Et dire que ces plaines,
vides, sont parfois captives d'un propriétaire ! Ce sont les barrières de
barbelés fragiles qui me l’ont dit. Peut-être pour les chevaux,
les vaches dans d'autres saisons ? Mais il me semblait
pourtant qu'il ne pouvait pas y avoir ici de saison, et qui aurait le
courage de venir chercher les bêtes au fond de ces plaines ?
Maintenant, je sens même mon discours devenir monotone comme le
paysage.
Après
de tant vastes plaines, nous faisons l'ascension de nouveaux
plateaux, par des virages, des cols, devant des maisons de bords de
canyon dont les fenêtres regardent dans le vide, où les boîtes aux
lettres attendent un facteur mensuel, pour être optimiste, ou
peut-être plutôt mauvaise langue. C'est un tableau d'ombres et de
soir froncé par le coucher de soleil qui se noie face à nous, aussi
vrai que c'est vers l'occident
de l'occident que nous
nous dirigeons. Dans un coin de ce tableau, nous nous couchons dans
un lit de Kingman, petite ville cachée au creux d'un vallon, qui,
heureusement, a son Motel 6 et ses vieilles locomotives sur les
places publiques, souvenirs d'un autre temps.
Kingman
nous montre nos premiers joshua
trees, ou arbres de
Josué, que les lumières du motel éclairent dans la nuit :
impossible de penser que la Californie est encore loin.
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